Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Syndic pour un an, vers 1770 [Inédit]

 

Etre syndic avant la Révolution, on dirait aujourd'hui maire, ou au moins adjoint au maire, c'était être le représentant de la communauté des habitants de la paroisse. Face aux seigneurs, au clergé et aux diverses administrations, cette fonction de syndic est souvent présentée comme ayant été un contre-pouvoir. Pour Champfromier, c'était semble-t-il plutôt une charge, presque une corvée, que chacun devait effectuer au moins une fois dans sa vie.

Les plus anciens syndics que l'on connaisse à Champfromier remontent à l'année 1443, avec Romanet Jobin et Hugonet Tavernier [Hist. de Champfromier, p. 27]. Ils étaient deux, représentant probablement déjà deux "villages", Champfromier et Monnetier (deux communautés d'habitants distinctes au sein de la même paroisse de Champfromier). Habituellement ils seront trois, l'un pour Champfromier et Communal réunis, un pour Monnetier et le troisième pour Giron-Devant, le tout formant la paroisse de Champfromier jusqu'à la Révolution (sauf pour le spirituel). Mais l'on trouve parfois aussi un syndic spécifique pour Communal, comme en 1710 : "Anthoine [10081] fils de Claude Juilliant syndic de Communal" [3E14280, f° 7 de 1710].

Les syndics connus dans la paroisse de Champfromier changeaient tellement souvent que chacun, dans les actes anciens, est presque toujours dits "moderne", autrement dit, élu dans l'année en cours. On devine déjà par ce renouvellement permanent le peu d'intérêts qu'il y avait à exercer cette responsabilité, sauf peut-être à ce que la communauté ne perde pas davantage !

Nomination des syndics pour l'année 1769

Pour Champfromier, les archives départementales conservent les procès verbaux des présentations des syndics pour les années 1769 à 1777 (Petites justices seigneuriales du Bugey, série 25B). Celui de 1769 est le plus complet. On y apprend que les syndics choisis par la communauté devaient être présentés au représentant du seigneur local, le prieur de Nantua. Bien entendu le seigneur n'est pas présent lui-même, il est représenté par plusieurs officiers et juristes, avec cérémonial et mise en scène, déclarations et même amendes éventiuelles aux habitants qui eux n'ont pas le droit d'être absents ! Mais il manque trop d'hommes, ceux-ci étant dits partis peigner le chanvre, une nouvelle séance sera nécessaire...

La nomination d'un syndic pour une années civile commence l'année précédente, souvent en novembre ou en juillet. Au prône, le prêtre, sinon un sergent, a annoncé la date et l'heure des assises, dites aussi le grand jour. Pour les syndics de 1769, le grand jour est le 15 novembre 1768 : "Joseph Jagot, avocat à la Cour, juge civil et criminel des terres de Nantua, savoir faisons (...) S’étant transporté jusqu’au village de Champfromier, avec Me Clément-Marie Colletta et Jean-Joseph Domange de Montanges, commis procureur d’office et greffier en la justice de Nantua en l’absence des titulaires, suivis de Claude-François Mermet, sergent ordinaire en la justice de Nantua demeurant à Montanges, arrivés sur la place publique dudit Champfromier, Me Colletta a remontré qu’en exécution de l’arrêt du Parlement de Dijon du 26 mars 1768, il avait indiqué par un cri public du sergent Mermet fait à la porte de l’église dudit Champfromier, la tenue des assises ou grand jour".

Jean-François Ducret, syndic moderne dudit Champfromier (en 1768), est alors chargé de remettre la liste des hommes justiciables de la justice de Nantua qui sont de la paroisse de Champfromier, et de l’arrière de Giron [lire : Giron-Devant, et non Derrière]. Suit sur quatre pages séparées en deux colonnes la liste des 182 noms et prénoms des membres de la communauté qui devraient être présents. Cette liste est certainement identique à celle du rôle de taille de 1768 (qui manque malheureusement), mais en tous cas elle en a la même disposition, les justiciables étant dénommés par ordre de village, de même que dans les rôles de taille (Champfromier, Communal, Monnetier, Giron-Devant), et l'on retrouve sans grande difficulté de nombreux noms et prénoms dans le même ordre qu'au rôle de 1779. Les principales différences sont que la liste pour l'élection des syndics ne comporte pas de femmes, et que tous les individus y sont dénommés et vivants (contrairement à la tailles où de nombreuses lignes ne font mention que des "hoirs", héritiers non dénommés d'un mort). Des regroupements de deux ou trois frères vraisemblables ne sont pas rares. Ainsi les noms associés aux 316 articles de la taille de 1779 peuvent parfois trouver une précision généalogique aux héritiers [Voir le fichier des Rôles de taille].

Pour la nomination des syndics, 182 personnes sont dénommées en 155 lignes (les frères étant regroupés). Fait assez rare, une seconde liste figure au procès-verbal, et cette fois c'est celle des présents, dans le même ordre (sauf 7 ajouts dont 6 à la fin), avec la précision que certains représentent leur fils, ou le contraire. On ne relève que 61 présents (sur 182 inscrits), et le nombre des individus absents est donc de 121 individus. Comme une amende sanctionne les absents, les présents "nous ont déclaré que tous les autres qui ne paraissaient pas ici sont absents depuis plusieurs jours de la province pour aller peigner du chanvre"...

Sont-ils vraiment tous en train de peigner le chanvre ? Si c'est le cas, c'est une énorme transhumance hivernale humaine, une vraie saignée. Pour Communal ils ne sont plus que 7 hommes présents (sur 28 inscrits en 25 regroupements). Et ce sont donc une vingtaine de femmes qui étaient livrées à elles-mêmes... Pour Monnetier c'est encore plus excessif ; sur 60 personnes inscrites (en 48 regroupements), on ne dénombre que 7 présents pour 53 absents...

Pour Champfromier village et Giron-Devant, villages aux ressources plus variées pour l'un et plus riche de grands domaines agricoles pour l'autre, les chiffres sont beaucoup plus équilibrés, de l'ordre de la moitié seulement d'absents. Ces observations plaident en faveur d'une vraie nécessité pour les hommes de partir peigner le chanvre dans les nombreuses familles aux ressources agricoles limitées. Il est néanmoins probable que parmi les absents il se trouve vraisemblablement une petite part de profiteurs du prétexte.... Pour Champfromier, on relève : 63 inscrits (52 regroupements), 32 présents, 31 absents ; Pour Giron-Devant 31 inscrits (30 regroupements), 15  présents, 16 absents.

Face à cette désertion, réellement due en grande partie à ceux partis peigner le chanvre, pour les années suivantes le grand jour sera placé entre juillet et octobre, et presque tout le monde sera présent. Alors il n'y aura plus d'excuses aux absences et quelques amendes seront distribuées... Ainsi en 1770, après deux heures d'attente – "à qui nous avons donné défaut faute par eux de paraître quoique plus de deux heures après celle assignée" –, ce sont dix absents (Collet, Coutier, Pillard, etc. ) qui sont condamnés à payer chacun 3 livres 5 sols (c'est presque le prix d'une chèvre !), et parmi eux le syndic de l'année en cours !

Après toutes ces formalités (à une date non précisée), les syndics (de Champfromier-Communal, de Monnetier et de Giron-Devant), enfin présentés aux officiers du seigneur de Nantua pour l'année 1769, sont enfin désignés (pour être nommés). Pour cette année les syndics sont en même temps collecteurs (de la taille) et procureurs (procureurs généraux, représentants dans toutes les procédures juridiques) de la communauté, et comme l'un des syndics est mineur (moins de 25 ans), son père se portera garant. Sont ensuite présentés quatre gardes-messiers [habitant commis pour veiller sur les moissons], puis un cinquième : "Et pour se conformer à la disposition de l’arrêt, ils ont présenté pour syndics, collecteurs et procureurs de la communauté, Nicolas [CI-1938 (non présent)] fils de Jean-François Tournier, laboureur demeurant à Champfromier, tous deux ici présents, le père se rendant caution de son fils ; Claude Pillard [Présumé le plus vieux des deux Claude présents, CI-1088 âgé de 55 ans (sinon CI-1651)] demeurant rière Monestier, et Etienne-Joseph Terras laboureur demeurant à Giron-Devant ; et pour gardes-messiers, François-Julien Ducret, laboureur demeurant à Champfromier, Claude Driset laboureur demeurant à Giron-Devant, Jean-François Ducret laboureur demeurant à Monestier et Jean-Baptiste Marquis laboureur demeurant à Communal, desquels syndics, collecteurs, procureurs et messiers ici présents nous avons reçu le serment en ce cas requis, de même que de Pierre-Joseph Bornet, aussi laboureur demeurant à Champfromier, qui a été présenté pour messier, et lesdits syndics et gardes-messiers ont signé à l’exception de Jean-Baptiste Marquis, Etienne-Joseph Terras et Claude Driset qui n’ont signé pour être illettrés, déclarant les comparants qu’ils entendent que chaque village qui a nommé ses syndics et messiers soit responsable des faits de ceux-ci."

Faute d'autres documents comparatifs, on présume que tous ces syndics et gardes-messiers présentés par la communauté de Champfromier furent acceptés par leur seigneur, le prieur de Nantua.

Nomination des syndics pour les années 1770-1777

Le procès-verbal du grand-jour de 1769 (pour 1770), et ceux des années suivantes, sont beaucoup plus sobres. La même liste des justiciables qui avait été présentée en 1768 servira encore en 1769 et même en 1770. Et il n'y aura pas de liste des présents. Mais en 1774, les syndics et prud'hommes de l'année en cours sont chacun condamnés à 30 sols d'amende pour ne pas avoir fourni de liste d'habitants dans le délai de trois jours avant le grand-jour.

En 1770, on ne nomme plus que des syndics-procureurs (collecteur disparaît des fonctions), et des gardes-messiers. A partir de 1771, les termes évoluent. On nomme un syndic et deux ou trois prud'hommes pour chacun des trois villages, le syndic étant toujours nommé également premier des prud'hommes (et le deuxième, assez souvent, le syndic de l'année précédente).

Ces grands-jours, sont aussi le moment de traiter d'autres affaires. En 1768, "déclarent les comparants, que n’ayant aucun fonds affecté au profit de la fabrique de Champfromier et de Giron-Devant, il ne peut être question de rendre aucun compte".

En 1771, regrettant que "la santé du châtelain ne lui ayant pas permis de se trouver aux assises (...), ordonnons que, par le châtelain, assisté du curial (tous deux demeurant à Montanges), des syndics et prud’hommes de la communauté [de Champfromier], il sera procédé à la visite et reconnaissance de l’état des chemins du territoire". Le mauvais état des chemins exige de promptes réparations et il devra être précisé, pour ceux devant être élargis, de quel côté ou si c'est des deux côtés.

Conclusion

Ces quelques procès-verbaux abondent en mentions de pénalités (21 amendes en 7 années) ou d'obligations diverses. Même si les syndics changeaient tous les ans, on est surpris qu'il s'en trouva encore chaque année ! Ces nominations cessèrent évidemment avec la Révolution. Le cahier des doléances de Champfromier, et si bien sûr aucune ne remettait en cause la notion de syndic, par contre ne se privait pas mettre à l'index l'ensemble des officiers des justices seigneuriales, lesquels étaient trouvés bien trop nombreux. L'article 5 semble se rapporter plus spécialement à des procès entre particuliers, encouragés par les officiers qui ruinaient les partis en procédures, mais son dernier paragraphe pourraient bien s'appliquer aussi à ces amendes des grands-jours, des condamnations unilatérales et immédiates décidées sans autre forme de procès à l'encontre des absents "Ce n’est pas tout, ces mêmes officiers viennent tenir des assises, où pas un de nous a droit de parler ; on condamne sans entendre l’accusé, ou pour mieux dire sans lui permettre de parler, à une amende arbitraire envers le seigneur, et s’il arrive que ces amendes soient applicables tant à la fabrique [organisme qui gère l'entretien de l'église] qu’au seigneur, ce dernier se réserve tout et ne rend compte de rien".

 

Voir la liste des syndics de Champfromier

Publication : Ghislain LANCEL. Sources : AD01, 25B424 .

Première édition de cette page, le 7 août 2009. Dernière mise à jour le 10 octobre 2012.

 

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