Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

La mort du contrebandier Gustave Vénière, 1909

 

La mort en 1909 du contrebandier notoire Gustave Vénière fit grand bruit à Champfromier, cette petite commune de l'Ain frontalière de la Zone Franche. Près d'un siècle après la disparition du chef contrebandier, son nom est encore connu aujourd'hui par les plus anciens du village, anciens qui pourtant n'étaient même pas nés quand l'affaire se produisit ! La mort d'un contrebandier était un fait rare. La population de tous les environs, qui hébergeait sans heurts les douaniers tout en bénéficiant du trafic des contrebandiers, se braqua contre le lieutenant meurtrier, et la presse en publia sans réserve les articles qui furent d'une violence crescendo allant jusqu'à la limite de la haine... Cette série d'articles, rédigée tant par la presse que par des anonymes, est significative du soutien massif accordé aux contrebandiers par la population locale et ses relais à travers la Valserine, l'Ain, la Savoie et même la Suisse limitrophe.

L'acte administratif du décès à Chézery ne laisse rien entendre sur les faits : François-Gustave Vénière, célibataire âgé de 35 ans, sans profession, sans domicile fixe, né à Echallon, fils de feu Louis-Agathange Vénière et Marie-Hélène Perrin domiciliée à Oyonnax, est décédé au Cret, commune de Chézery, le 14 juin 1909 à 8 heures du soir. Les témoins sont son frère Elie Vénière, 28 ans, fabriquant de pipes à Oyonnax et Vincent Duraffourd, 30 ans, négociant à Chézery, non parent.

Et le recensement de Champfromier de 1901, où demeurait alors le futur – ou déjà actif – contrebandier, ne faisait évidemment pas mention de son activité : les frères Gustave et Elisée (Elie) Vénière sont tous deux dits bouchers au Pont d'Enfer, avec leur mère (Hélène Perrin, de Belleydoux). Bouchers, ils l'étaient effectivement, leur boucherie se situait, dit-on, au rez-de-chaussée de l'actuel Hôtel du Lavoir (Sylvie Ducret). Précisons qu'en 1901 vivait sous le même toit de cette maison (maison 17 du Pont d'Enfer) une autre famille dont le chef n'était autre qu'un Auguste Vénière, né en 1868 à Echallon (fils de Joseph Marie, et vraisemblable cousin de Gustave), de son métier, préposé des douanes ! Dans le village, on dit encore aujourd'hui que Gustave n'avait donc aucune difficulté pour savoir où se trouvaient les douaniers ! Peu avant l'affaire Vénière, au recensement de 1906, la famille du douanier Vénière demeurait encore au Pont d'Enfer, tandis que Gustave et sa mère avaient déménagé pour le quartier voisin de Champfromier-le-haut, tous deux étant dits sans profession...


En 1901, on dénombre même à Champfromier deux préposés des douanes dans la même maison 17
que celle de Gustave Vénière, boucher avec son frère chez leur mère...

Les contrebandiers écrivent au journal local, qui publie !

Incroyable, L'Avenir Régional du 1er juillet 1909, le journal local, ou plus exactement une Feuille d'avis hebdomadaire, publie une lettre de dénonciation d'assassinat d'un contrebandier par le lieutenant des douaniers, lettre expédiée par les contrebandiers eux-mêmes !

 

"L’AFFAIRE VENIERE : Une lettre de deux contrebandiers.

Nous recevons le curieux document suivant, que nous reproduisons sous toutes réserves et qui nous est adressé d’Annemasse (Hte Savoie).

Monsieur le Directeur,

Comme tous vos confrères de la région, vous avez annoncé, d’après les renseignements qui ont été fournis par l'administration des douanes, la lutte tragique qui a eu lieu entre le lieutenant Fontaine, son préposé, et quatre contrebandiers, et qui s est terminée par la mort de Vénière.

Le mot lutte est ici erroné, car il n’y a pas eu de lutte. Vénière a été tué sans nécessité, à bout portant. Voici du reste comment les choses se sont passées exactement :

Nous revenions, Vénière, un de nos camarades et nous, de prendre de la marchandise déposée dans le Pays de Gex. Nous avions gravi la montagne la nuit précédente et fait halte pendant la journée, au milieu des bois. A la nuit tombante nous avions repris nos ballots et nous marchions pour passer la Valserine en-dessous de Champfromier, puis de là traverser à nouveau la montagne du côté de la Combe d'Evuaz et nous diriger sur Oyonnax.

Nos charges étaient lourdes, nous avancions prudemment. Vénière était inquiet, car il se doutait qu'il avait dû être vendu et que la douane surveillait son passage.

Tout-a-coup, deux douaniers se lèvent devant nous et crient la formule habituelle : « Halte là, la douane ». Nous nous arrêtons de suite et nous nous apprêtions à fuir, mais aussitôt le lieutenant Fontaine s’élança sur Vénière et voulut le saisir. Celui-ci recula d’un pas et fit te moulinet avec son bâton pour empêcher le lieutenant de l’arrêter. Nous avons vu le chapeau du lieutenant Fontaine tomber et peut-être le bâton de Vénière l’a-t-il légèrement touché en Tournant, mais nous pouvons assurer que Vénière n'a pas frappé le lieutenant, il n’a fait que faire le moulinet pour empêcher qu’on le prenne. A aucun moment il n’a non plus sorti son revolver.

Mais le lieutenant, dès que son chapeau est tombé, à tiré sur Vénière ; sans tirer aucune balle en l’air il a fait feu à deux reprises sur son adversaire. Vénière est tombé a la deuxième balle, et le lieutenant Fontaine en a tiré encore une alors qu’il était par terre.

Nous avons pris la fuite et deux balles ont encore été tirées sur nous pendant que nous nous sauvions. Un des nôtres a été blesse gravement.

A aucun moment la vie du lieutenant Fontaine et celle de son escorte n`ont été en danger. Il n'était donc pas en état de légitime défense et en tuant Vénière ainsi sans nécessité, le lieutenant Fontaine a commis un acte que nous laissons à l’appréciation de tous les honnêtes gens.

Certifié exact et conforme à la vérité.

[Signé] Deux des contrebandiers qui accompagnaient Vénière." [L'Avenir Régional, 1er juillet 1909].

 

On aura remarqué que, bien que contrebandiers pas nécessairement adeptes de la plume, la lettre est écrite avec tact et adressée depuis la Haute-Savoie, deux signes d'un soutien déjà actif sur toute la région.

 

On accuse le lieutenant, le ton monte !

Il ne semble pas que les douaniers aient été l'objet d'une antipathie primaire. Leurs logements se trouvaient dans les maisons du village, et plusieurs douaniers ont trouvé femme à Champfromier, et sont restés au village. Autre exemple, le 30 septembre, la presse mentionne "l'estime de tous", au départ à la retraite du franc et loyal douanier Robez-Masson. Mais là le cas est grave, il y a mort d'homme. Les règles admises par les contrebandiers avaient été bafouées. On avait même le sentiment d'un assassinat. Les habitants de Champfromier, dont les femmes s'adonnaient presque rituellement à la petite contrebande au Pont du Dragon, soutenaient leur ancien boucher et se rangeaient ouvertement du côté des contrebandiers ! On pourrait objecter que seule une poignée d'individus tentait de manipuler la presse, mais l'affaire ne fut pas étouffée et la violence verbale de la suite montrera bien que la population des montagnards de Champfromier et des environs était partie prenante pour les contrebandiers, ces passeurs de produits à moindre coût dont elle était naturellement la bénéficière. L'on affiche donc son mécontentement à l'absence de sanction, à bon droit, après le meurtre du malheureux Vénière.

"Champfromier. L'affaire Vénière. Cette affaire passionne toujours vivement les populations de nos montagnes, surprise à bon droit qu'aucune sanction ne soit rendue au sujet du meurtre du malheureux Vénière.

Le contrebandier arrêté [celui blessé lors de la fuite] est toujours en traitement à l'hôpital de Gex ; la balle qu'il a reçue à la fesse n'a pas encore pu être extraite. Ses complices ne se sont toujours pas fait connaître.

Nous espérons que toute la lumière se fera sur cette malheureuse affaire, et que les coupables seront punis, s'il y en a et s'ils le méritent.

La conduite du lieutenant Fontaine dans le drame n'apparait toujours pas très clairement". [L'Avenir Régional, 7 octobre 1909].

 

Le ton monte encore, le soutien se fait sentir de toutes les populations, on dénonce, et la presse s'en fait le relai !

"L'affaire Vénière. Toutes les populations de nos régions montagneuses se demandent toujours avec surprise à quel point se trouve l'instruction de cette affaire. Oui ou non, existe-il une justice en France et le meurtre de Vénière restera-t-il impuni ?

Il serait nécessaire que la famille poursuive les coupables.

D'un autre côté qu'attend l'administration pour nous débarrasser du lieutenant des douanes Fontaine, que personne ici ne regarde plus qu'avec mépris.

[Signé] Un groupe d'habitants." [L'Avenir Régional, 21 octobre 1909].

A signaler que l'on ne fait toutefois pas d'amalgame. Félix Perrin épouse le 27 octobre à Champfromier, Aline Pézieu, fille... d'un douanier du lieu. "Nos meilleurs vœux aux époux", annonce la presse.

Le procès

Le procès se déroule en novembre. Par le compte rendu, l'on apprend le détail de la version officielle des faits, les noms des contrebandiers, leurs soutiens dans la région et en Suisse, le rappel que Vénière est le premier mort pour le Tribunal de Gex et qu'il avait déjà eu affaire avec les douaniers. Il se termine par les peines prononcées.

"Gex. Le Drame de Chézery devant le Tribunal correctionnel. Mercredi de cette semaine est venue devant le Tribunal correctionnel de Gex cette triste affaire connue sous la désignation de "Drame de la Roche Coupée", qui fit un si grand bruit dans les deux arrondissements de Gex et de Nantua, dans ce dernier surtout où la principale victime, Vénière, qui tomba sous les balles du lieutenant des Douanes Fontaine était très connue.

Nous ne rappelleront pas les polémiques de Presse auxquelles elle donna lieu, nous contentant de la résumer d'une façon impartiale et de faire connaître la sanction du Tribunal qui en a été comme l'épilogue. Nos lecteurs d'ailleurs connaissent les faits.

Le 14 juin 1909, dans la soirée, une rencontre se produisait entre quatre contrebandiers chargés de ballots, le lieutenant des Douanes Fontaine et son escorte, le préposé Niogret, ces deux derniers habitant Champfromier.

Le lieutenant était en visite de poste. Arrivés au lieu dit "La Roche Coupée", territoire de la commune de Chézery, dans un chemin sous bois, il vit venir dans sa direction quatre hommes porteurs de ballots. Le lieutenant affirme avoir alors crié "Halte à la Douane !" Le chef des contrebandiers, Vénière Gustave, aurait répondu "Les gabelous ! En avant !" et frappé le premier Fontaine qui, blessé à la tête d'un violent coup de gourdin, tira un premier coup de révolver en l'air puis, pour se défendre, déchargea son revolver sur son agresseur qui tomba pour ne plus se relever.

Pendant cette scène qui fut très rapide, le contrebandier qui marchait immédiatement après Vénière dans la file indienne, était aux prises avec le préposé Niogret qui tira, de son côté, mais, croit-on sans atteindre son adversaire.

Les contrebandiers ayant vu tomber leur chef, abandonnèrent les ballots dont ils étaient chargés, prirent la fuite et disparurent sous bois.

Toute poursuite était impossible.

Le lieutenant et Niogret s'approchèrent de Vénière ; ce n'était plus qu'un cadavre. le malheureux était étendu à 5 ou 6 mètres du lieu de la rencontre, dans un taillis, la jambe droite allongée et repliée sur elle même, l'œil droit crevé par la balle qui avait occasionné la mort.

Sur une distance assez grande, on remarqua des traces de sang, indiquant une seconde victime, qui, blessée, avait cependant pu prendre la fuite. Des fouilles furent faites dans les bois et le long de la rivière "La Valserine" mais ne donnèrent aucun résultat.

Le parquet de Gex fut prévenu et se transporta sur les lieux de la rencontre : M. le Juge d'Instruction ouvrit une enquête, prévint les Parquets voisins, recueillit les signalements approximatifs des trois contrebandiers restés inconnus et prescrivit de nouvelles recherches.

Ces recherches devaient aboutir, car quelques jours après, on apprenait qu'un homme grièvement blessé à la cuisse droite, avait traversé, la nuit même de la rencontre, la montagne et avait reçu à Menthières, l'hospitalité chez M. X... d'où il était parti pour gagner la frontière.

Ce blessé, c'était Trabichet Victor, journalier, sans domicile fixe, embauché à Genève par Vénière.

Malheureusement pour lui Trabichet, ne se croyant pas connu, commit l'imprudence d'aller chez un ami à Thonon, où il fut arrêté et conduit à la prison de Gex, d'où, à cause de sa blessure, on le dirigea sur l'hôpital.

Restaient deux contrebandiers dont l'identité n'était pas établie ; après de minutieuses recherches, et un long travail M. le Juge d'Instruction de Gex finit par l'établir et aujourd'hui trois prévenus sont cités à comparaître sous l'inculpation de rébellion et de violences à un officier et un agent de la force publique.

1° Trabichet Victor, 37 ans ; 2Berthet Marie, 44 ans ; 3Desmottaz Jean-Henri, 32 ans. Tous journaliers et originaires de la Haute Savoie.

Berthet et Desmottaz font défaut. Berthet et Desmottaz, plus prudents que leur camarade Trabichet, ne sont pas rentrés en France : sans doute à l'étranger ils attendent que l'oubli se fasse sur leur affaire et sur leur personne.

A l'Audiance. Un nombreux public, que cette affaire passionne encore après plus de 4 mois, se presse dans l'enceinte qui lui est réservée.

Et, en effet, si nous en croyons nos souvenirs, c'est la première fois que le Tribunal de Gex jugera une aussi grave affaire de contrebande où un malheureux a trouvé la mort et où un de ses camarades a été très grièvement blessé.

En général, nous ont dit les douaniers que nous avons pu interroger à ce sujet, lorsque des contrebandiers sont surpris par les agents, ils abandonnent leurs ballots et prennent la fuite, sans chercher à résister, évitant ainsi l'amende, la contrainte par corps et la peine à l'emprisonnement, qui serait la suite de leur capture.

On se rappelle cependant qu'il y a de cela peu d'années, Vénière surpris par des douaniers de Châtillon-en-Michaille, non loin de Challex, leur fit une vive résistance, mais sans que pour celà, il y eut de part et d'autres mort d'homme, ni même de blessé.

Comme pièces à conviction figurent les cannes brisées du lieutenant Fontaine et du préposé Niogret, les bâtons des contrebandiers, les objets que portait Vénière, les espadrilles des fraudeurs attachées à leurs ballots, etc.

* * * Les débats de l'affaire Trabichet ont été terminés assez tard. Nous les résumerons dans notre prochain numéro. Après réquisitoire de M. le Procureur de la République et plaidoirie de MMontbardon, les condamnations suivantes ont été prononcées : Trabichet, Desmottaz et Berthet, six mois de prison chacun.

Le lieutenant des Douanes Fontaine et son escorte sont mis hors de cause." [L'Avenir Régional, 25 novembre 1909]

Le lieutenant gratifié, tuer les hommes comme des chiens !

L'affaire est terminée ? Que non ! Au village de Champfromier l'ambiance est très tendue, d'autant plus que le lieutenant a été gratifié par l'administration !

"Champfromier. On nous écrit : Le drame de La Serpentouze. Le drame terrible qui a eu lieu à La Serpentouze et qui s'est terminé par la mort de Vénière a eu son épilogue la semaine dernière devant le Tribunal correctionnel de Gex, dont l'Avenir a d'une façon très complète relaté les débats.

Les camarades de Vénière et notamment le malheureux blessé Trabichet, ont été condamnés à six mois de prison chacun.

D'un autre côté le lieutenant Fontaine, le célèbre héros du meurtre de Vénière, est mis hors de cause ; il a en outre obtenu de l'Administration des Douanes une gratification de 800 francs et a été porté en bonne place sur le tableau d'avancement pour le grade de capitaine. Aussi le lieutenant Fontaine, fier de son exploit, prête à le recommencer, se promène-t-il maintenant la tête haute, le sourire ironique, l'œil provocateur, le torse droit et le jarret tendu.

Les habitants de nos montagnes, gens de bon sens, d'esprit droit et loyal, apprécieront sévèrement l'attitude provocatrice de l'administration des douanes et de son salarié Fontaine, ainsi que le jugement du Tribunal correctionnel de Gex.

S'il est permis maintenant de tuer les hommes comme des chiens, sans aucune nécessité, personne n'aura plus désormais à se gêner, pas plus les contrebandiers que les autres.

[Signé] Un groupe d'indignés." [L'Avenir Régional, 2 décembre 1909]

Le douanier muté, qu'il aille se faire pendre !

Quelques mois après le procès le lieutenant est muté, la population ne le regrette pas !

"Champfromier. Récompense au courage [!] M. Fontaine, lieutenant des douanes à Champfromier, a été nommé capitaine à Léthilleux, direction de Besançon. Nos lecteurs se souviennent [...] Les péripéties de ce drame furent discutées avec passion. Elles ont soulevé dans la région des controverses qui ont repris un regain d'actualité à la nouvelle de l'avancement du meurtrier qui s'est prétendu en état de légitime défense.

Le lieutenant Fontaine sera remplacé à Champfromier par M. Bouclans, sous lieutenant à Briseux, direction de Besançon.

Il est superflu de dire que la population de Champfromier a appris avec plaisir la nouvelle du départ de Fontaine, qui ne sera pas regretté dans la région. Plus clairvoyants que l'Administration, nos montagnards avaient su discerner la vérité dans le drame où Vénière a trouvé la mort.

Pour ce bel exploit, pour cet acte de sublime courage qui a consisté à abattre froidement un homme à bout portant, Fontaine a reçu une allocation de 800 francs et les galons de capitaine.

Qu'il aille se faire pendre ailleurs et que sa conscience, s'il en a une, ne lui reproche jamais le crime qu'il a commis.

L'administration sera jugée sévèrement par tous les honnêtes gens, pour l'avancement immérité de Fontaine.

[Signé, semble-t-il avec l'article suivant, du pseudonyme] Dusapin." [L'Avenir Régional, 3 février 1910]

Suite et fin, bienvenue au successeur, s'il sait remplir sa mission avec tact...

"La fuite du lieutenant Fontaine. Fontaine a pris la fuite ; d'un bout à l'autre de la vallée, la satisfaction est générale. Il en était temps ; car le mépris dont il était entouré, et qu'il méritait, commençait à faire place à la haine qui est une mauvaise génératrice.

Il a pu, en se sauvant, méditer le proverbe : "Qui sème le vent, récolte la tempête".

Son remplaçant est le sous-lieutenant Bouclans, qui vient, croyons-nous, de la direction de Besançon. La première impression est bonne ; les personnes qui l'ont approché augurent bien et estiment qu'il saura remplir avec beaucoup de tact, de mesure et de bienveillance, sa délicate mission. Nous le désirons sincèrement pour lui, pour le public et pour ses subordonnés.

Nous lui souhaitons cordiale bienvenue. [Pas de mention d'auteur.]" [L'Avenir Régional, 17 février 1910].

 

Il n'y eu plus par la suite d'autres contrebandiers tués dans cette région, ni même sérieusement blessés. Le lieutenant Bouclans resta dix années à Champfromier avant d'être muté capitaine à Frangy en décembre 1920, avec les félicitations de la presse. Entre temps la guerre était arrivée et les douaniers avaient aussi eu d'autres préoccupations. Le 6 septembre 1917 la presse les félicitait pour l'arrestation d'un "boche", prisonnier allemand qui tentait de s'évader et que les douaniers avaient repris au Nan de Fossa, et de même en février 1918 avec un déserteur étranger. En 1923 disparaissait la vieille Zone Franche, mais plusieurs douaniers avaient fondé famille à Champfromier. Ils y restèrent, retraités, jusqu'à la fin de leur vie.

Consulter l'additif (aimablement adressé après la publication de la page ci-dessus).

Et à Chézery...

Gustave Vénière fut inhumé à Chézery, en présence de sa famille. Si l'on voulait un résumé concernant les circonstances du décès et l'attitude de la population, il suffirait de lire l'Avenir Régional, à la seule date du 24 juin 1909, rubrique Chézery. Encore une fois on y donne la parole à un groupe "d'indignés", tant pour l'inhumation que pour les accusations d'assassinat à peine dissimulées, avant que l'hebdomadaire ne reprenne les obsèques à son nom. Le "journal" ne manque pas de signaler, ou de répéter, la foule de plus de cent personnes aux obsèques, la présence des jeunes, l'excédent de la quête dont le montant a dépassé celui de l'achat des couronnes et les dons généreux de la famille pour les enfants du Sou des écoles... Et pour ceux qui auraient cru à l'effet dissuasif du contrebandier tué, la dernière rubrique de Chézery de ce même jour relate... une contrebande d'allumettes cachées dans les mangeoires de l'entreprise du Tramway, sur la route de Chézery à Champfromier !

"Chézery. Obsèques. - On nous écrit : Mercredi, 16 courant, ont eu lieu les funérailles de Gustave Vénière, tué par un officier de douanes dans les circonstances que nous avons relatées. A la fin de la cérémonie, une quête entre amis du défunt a produit la somme de 23 f. 50. Il a été acheté une couronne et 6 fr. 50 ont été versés à M. le Maire pour le Sou des écoles. Nous apprenons aussi que la famille Vénière, vient de donner à M. le Maire la somme de 5 fr., également pour le Sou des écoles.

On nous écrit d'autre part : Mercredi, 16 courant, à deux heures de l’après-midi, une foule évaluée à plus de cent personnes accompagnait à sa dernière demeure le citoyen Gustave Vénière, tué par le lieutenant des douanes Fontaine dans une attaque avec quatre contrebandiers au lieu dit « Sous Courbe-Roche ». Le citoyen Vénière a reçu deux balles de revolver, une à la cuisse, l’autre dans l'œil droit, qui s'est logée dans la région du foie et a déterminé la mort. On se demande dans quelle position devait se trouver la victime lorsqu’elle a reçu la balle mortelle pour que celle-ci ai pris cette direction. Que s'est-il passé au juste ? Cela reste encore à savoir pour le moment, mais l’avenir nous le dira peut-être, nous l’espérons.

Peut-on adresser des félicitations au lieutenant Fontaine? C’est très difficile, car tous les honnêtes gens sont indignés et répugnent son « acte de courage ».

Nous pourrions complimenter le lieutenant Fontaine s’il avait pris Vénière à bras-le-corps surtout que ce dernier était un tout petit homme et le lieutenant un gros, grand, fort bel homme.

Gustave Vénière n'était pas un assassin, comme veulent le dire certains personnages ; Vénière n'a jamais tué ni volé ; il est vrai qu’il était porteur d’un revolver, mais il n'a peut-être jamais eu la pensée d’en faire usage contre son adversaire, la preuve, c’est que la police l’a trouvé intact dans sa poche. Ce drame émouvant qui a impressionné toutes nos populations, restera gravé dans les cœurs des personnes loyales et justes. [Signé] Des indignés.

Funérailles. - Mercredi, à 2 heures de l’après-midi, ont eu lieu les funérailles de Vénière, qui a trouvé la mort dans une rencontre entre douaniers et contrebandiers. Le deuil était conduit par les parents du défunt. Parmi les couronnes, nous avons remarqué celle offerte par les jeunes gens du pays. Une somme de 11 fr. 50 a été versée dans la caisse du Sou des écoles, elle provient de l’excédent de la quête pour 1’achat de la couronne et de la rétribution des porteurs.

Contrebande. - Dimanche dernier, vers six heures du soir, les préposés des douanes Sinturel et Bailly, de service sur la route de Chézery à Champfromier ont découvert dans des musettes mangeoires portées par les chevaux de l’entreprise du tramway et conduits par le charretier Ducret, de Champfromier, 4 carrés d’allumettes. Procès-verbal a été dressé" [L'Avenir Régional, 24 juin 1909].

 

Voir des articles dans la presse suissse.

 

Remerciements : La Tribune, archives de 1909 et 1910. Les éditions Arthéma publieront dans l'Almanach des Pays de l'Ain 2010, l'histoire du contrebandier Venière (Michel Bludzien, directeur de publication, 26 janvier 2009).

Première publication, le 26 janvier 2008. Dernière mise à jour de cette page, le 8 décembre 2021.

 

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