Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
À l'ombre du mur ouest du cimetière, un peu après le milieu, on remarque une très modeste tombe (n° 36). À y regarder de plus près, pour ceux qui n'en connaissent pas l'histoire, on peut être intrigué par la mention "Jean Ducret Californien" !
Il s'agit en effet de la tombe de Jean Ducret-Chevron (CI-4920), chercheur d'or parti en Californie du temps de la Ruée vers l'or. L'abbé Genolin a raconté son histoire, avec toutefois quelques arrangements (une seule épouse, fortune partagée avec les malheureux) [Histoire de Champfromier, pages 255-256], mais une chose est certaine, Jean Ducret revint à Champfromier, fortune faite !
Jean Ducret, né le 9 décembre 1817 à Champfromier, est issu d'une modeste famille de cultivateurs. Sa branche maternelle est toute entière dévouée à la religion. Marie-Lucrèce Humbert [CI-3424], sa mère, est la sœur de Martin Humbert, prêtre apprécié et reconnu qui finira doyen du chapitre à Belley, appelé par Monseigneur Devie. Ses mère et oncle, Marie-Lucrèce et Martin, sont cousins germains des quatre frères Humbert prêtres dont l'abbé Genolin publie les portraits dans son ouvrage [p. 235], et tous sont issus des Humbert de la grange de Châtey, très connue depuis la Révolution pour avoir été le refuge actif des prêtres réfractaires. Parmi ces quatre frères prêtres, on retrouvera, encourageant notre Jean Ducret, le curé François-Marie Humbert dit Jambe de Bois [CI-3818], ayant pour domestique André Nicollet [CI-4554], un natif de Champfromier.
Jean Ducret, notre futur chercheur d'or, est le dernier enfant d'une petite fratrie (4 enfants). Il n'a encore que 14 ans lorsque son unique sœur décède, en février 1832. À cette date, Martin Ducret (CI-4740), son frère cadet de quatre année, se prépare à entrer dans les ordres. Il est probable que c'est dans ses 15 ans (en 1833) que Jean est envoyé comme domestique, ainsi qu'il était fréquent à cette époque (et non qu'il parte en Amérique, comme la tradition orale le voudrait). Nul doute qu'avec un environnement familial comportant de si nombreux prêtres, on lui trouva un employeur distingué et instruit (un prêtre) dont il pourra bénéficier des compétences.
Dans son livre, l'abbé Genolin commence son récit ainsi : "Un autre exemple [d’initiative] est celui que donna au siècle dernier un Champfroméran [sic], le nommé Jean Ducret dit le Californien, frère de l’abbé Martin Ducret [CI-4740], curé de Vaux [En Bugey].
Simple domestique au château, de Pont-d’Ain, pendant que son cousin M. Humbert dit la Jambe de bois [François-Marie Humbert (CI-3818)] en était le supérieur, il voulut, comme tant d’autres, à cette époque, tenter l’aventure au pays de l’or. M. Humbert lui fit remettre par un de ses amis la somme de 600 fr. Avec cette somme modique, Jean Ducret s’embarqua au Havre avec trois compagnons du département du Jura, reçut le baptême habituel sous le Tropique et, après de longs jours de traversée, débarqua à San Francisco.
Son premier ennui, en arrivant, fut la dissolution de la compagnie chargée de fouiller le terrain aurifère et dans laquelle il s’était inscrit. Une autre société fut formée, laquelle se composait seulement de quatre membres, Jean Ducret et ses trois compatriotes du Jura".
Nous pensons que c'est dès le départ que Jean Ducret fut placé comme domestique chez un curé de sa famille et dans les environs de Pont d'Ain.
François-Marie Humbert, alias Jambe de Bois, fut curé de Vaux-en-Bugey, non loin de Pont d'Ain, de 1822 à 1841, puis curé de Pont d'Ain. Il est présumé que c'est vers 1841/42 qu'il fut victime d'un triste accident, probablement à la minoterie des fils de J. Convert à Pont d'Ain. Alors qu'il examinait une machine à monter l'eau, avec son domestique, il se fit prendre le pied dans un rouage et dut subir l'amputation de la jambe. Le surnom lui resta à vie ! Signalons aussi, cette fois à propos du village de Vaux, la rumeur persistante qui veut que lors de la reconstruction de l'église de Champfromier, le portail de cette église fut démoli soigneusement, transporté pierre par pierre et reconstruit à La Chapelle de Nièvre à Vaux-en-Bugey... Le Château de Pont-d'Ain, devient la Maison de retraite des prêtres âgés ou infirmes du diocèse, après qu'il fut acheté par Mgr Devie en 1833. Jambe de Bois en sera le Supérieur à partir de 1845 et y est décédé en août 1857, "Supérieur de l'Hospice des prêtres au Château de Pont d'Ain", âgé de 69 ans. Handicapé, nommé Supérieur, il avait permuté sa charge de curé à Pont d'Ain avec le curé Bourlot, lequel semble bien avoir été le prêtre dont notre Jean Ducret était le domestique.
À cette époque les prêtres constituaient un réseau dont les limites dépassaient très largement celles de leur paroisse. Ils étaient très vite informés des nouvelles de la France, de Rome, par là même du monde entier. L'or était un métal précieux dont le clergé disposait usuellement sous forme de somptueux objets liturgiques depuis des temps immémoriaux. Nul doute que l'information de la découverte d'or en Californie, était vite arrivée à leurs oreilles. Jean Ducret, ainsi que trois autres jeunes du Jura, furent donc initiés à cette Ruée vers l'or, et même encouragés à y participer puisque Jambe de bois fit remettre 600 francs par un ami à son cousin afin qu'il participe à cette collecte d'or, et d'abord qu'il prenne le bateau au Havre... On présume que le don de Jambe de Bois est passé par son domestique de Champfromier, lequel l'a transmis au curé Bourlot, dont notre futur orpailleur en aurait été le domestique, aussi de Champfromier.
Jean Ducret, pour être capable de recréer une société dès son arrivée en Amérique, devait être un jeune adulte et non un adolescent. La période faste de la rue vers l'or, celle de Californie, ne dura que huit années environ (1848-1856), mais l'afflux des pionniers ne commença qu'en 1849 (les "forty-niners"). Avant que des bureaux de sociétés ne soient existants en France, il a bien fallu attendre 1850, année où Jean Ducret avait 32 ans (et non 15 ans !)
À l'époque, les Européens qui partaient, passaient par le Cap Horn pour arriver à San Francisco six mois plus tard... L'abbé Genolin semble le confirmer en déclarant que notre chercheur d'or reçut le baptême habituel en passant sous le Tropique et qu'après de longs jours de traversée, il aurait débarqué à San Francisco. Aller du Havre à San-Francisco, c'était déjà parcourir 8.791 kilomètres, à vol d'oiseau ! Mais la ligne de paquebots ouverte depuis 1831 au départ du Havre n'arrivait qu'à New-York, côté Est de l'Amérique (et il en sera de même pour la nouvelle ligne des navires à vapeur, à partir de 1747). Le Canal de Panama était loin d'être ouvert à la navigation (1914), et ne se franchissait qu'avec des mulets. Si Jean Ducret a bien eu un baptême du Tropique, c'est donc que depuis New-York il a repris un clipper pour arriver à San-Francisco, sur la côte Ouest de l'Amérique, franchissant le premier tropique de sa vie, le Tropique du Cancer, avant de franchir deux fois celui du Capricorne en contournant le Cap Horn pour remonter par la côte ouest ! Jean Ducret n'aurait donc pas traversé toute l'Amérique par l'intérieur, dans la plus pure tradition de la Ruée vers l'or.
La suite de son aventure nous est résumée dans une version donnée par L'abbé Genolin : "Il aimait à raconter les émotions qu’il avait éprouvées à la découverte des pépites et des paillettes d’or, ses déceptions et ses travaux, l’achat des outils nécessaires pour broyer et laver le minerai. L’un des trois associés étant mort au travail, les autres, après avoir prélevé sur son gain les frais de maladie et de sépulture, eurent la délicatesse d’envoyer le reste à ses parents dans le Jura. Ce trait d’honnêteté leur porta bonheur et après deux ans ils purent amasser un petit pécule. Jean Ducret ayant contracté dans ce travail pénible une ophtalmie, échangea ses pépites et ses paillettes contre de l’argent sonnant et revint dans son pays avec cette petite fortune. Il fit construire une jolie maison, prit femme et vécut encore quarante ans. Son ophtalmie s’aggrava et finit par la perte totale de la vue. Il supporta cette épreuve avec une patience admirable, édifiant tous ses compatriotes par sa piété et consacrant sa fortune au soulagement des malheureux. Il est mort pieusement, à l’âge de 83 ans, le 26 janvier 1900" [Histoire de Champfromier, pages 255-256 (et 235)].
De retour en France, notre Jean Ducret devenu Californien, se maria une première fois en février 1855, puis en secondes noces, en 1864. Les quatre enfants de ses deux épouses sont tous décédés jeunes ou en bas-âge. Il avait fait construire une petite maison à Monnetier (au Châlelard), bien équipée (un potager en pierre dans la cuisine). Il fut conseiller municipal en 1860 [RD10] et, lors de la guerre de 1870, fut l'un des seize champfromérands à prêter de l'agent (300 fr, une belle somme) pour l'emprunt de 4.619 fr que la municipalité avait à souscrire afin de payer sa quote-part communale à l'équipement de la garde nationale [RD11, f° 32v (08/12/1870)]. Jean Ducret est décédé aveugle en 1900, âgé de 82 ans, il repose au cimetière de Champfromier.
Pour en savoir davantage, voir à son Jean Ducret, dit le Californien, dans les Célébrités.
Publication : Ghislain Lancel. Remerciements : Françoise Coutier.
Première publication, le 9 novembre 2016. Dernière mise à jour de cette page, idem.