Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Capture de chevaux des armées du Roi à l'Auger
par des hommes de Monnetier en 1637 (Inédit)

 

Le 18 juin 1637 une bande de quatorze hommes de Monnetier, attaque des cavaliers de l'armée du roi dans les "montagnes" de L'Auger (Territoire de Champfromier). Ces brigands sont convaincus d'avoir "démonté quatre d’iceux et pris forcement (par la force) leurs gardes et chevaux", et douze sont condamnés chacun à 50 livres d'amende [AD du diocèse, cure de Champfromier, notaires, f° 11 (22 juillet 1638)]. Ces faits se déroulent en pleine Guerre de Dix ans (commencée en 1634) et deux ans seulement avant les terribles exactions de 1639, qui se solderont par plusieurs morts et au cours desquelles le village de Monnetier sera totalement incendié en deux fois, et Champfromier mis à feu à deux reprises... Ce fait étonne par son audace. Mais il semble finalement n'être que le fait d'un vulgaire brigandage, à moins qu'il ne se range dans la catégorie des principes selon lesquels, ici, lorsque l'on a des soucis, on préfère les régler entre soi, sans que l'administartion s'en mèle (comme on l'avait vu lors de la plantation des bornes, en 1613, par les boucherans).

Les faits rapportés par la sentence


Chevau-léger (1635-36)

C'est par une copie d'extrait de sentence que l'on apprend les faits. Quoique bref et en partie redondant (nom des prévenus), la sentence révèle un contenu surprenant et inédit jusqu’à ce jour : 12 hommes de Monnetier sont convaincus d'avoir, le 18 juin 1637, assaillis dans la montagne de L’Auger, entre les villages de Giron et Champfromier, des cavaliers de l’armée du Roi commandés par le duc de Rohan, alors au Pays de Gex. Attaquant avec des bâtons, des haches et des pierres, ils mettent à terre quatre des cavaliers et s'emparent par la force de leurs équipements et de leurs chevaux. Par la suite, ils auraient remis leur prise au Sieur de Montjouvent. Pour ces faits, ils sont condamnés solidairement, chacun à une amende de 50 livres envers le procureur d’office de la Terre de Nantua, dont relèvent les lieux .

Extraits : "Entre le procureur d’office de la Terre de Nantua demandeur en cas d’excès et larcins d’une part, et Aymé Chevron [(Goy-Ducret, dit Chevron, fils en secondes noces de Philiberte Marquis) CI-9178] et Louis Perret [10749] accusés et défendeurs [ces deux premier, syndics ?], Bernard [10751], Pierre [10752] et Claude [10753] Grisard, Anthoine [10754] et Martin [10755] Morel dit Michollet, Claud’Anthoine Pochy [(Genolin-Pochy) 9235], Claude [10757] fils de la Grobellestaz, Louis [9236] fils de Bernard [10374] Ducrest, Pierre [8014] fils de Roland [10411 ?] Ducrest, Naymoz [10759] fils d’Estienne [10758] Petit-Claude [Ducret ?], Claude [9217] Tavernier-Fridet et Amed [10761] fils de Phillibert [10760] Bordon, aussi accusés et défendeurs d’autre (part), vu le procès nous (...) les déclarons (...) convaincus d’avoir, le 18 juin 1637, aggerdi [assailis] dans la montagne de L’Auger étant entre les villages de Giron et Champfromier, des cavaliers de l’armée du Roi, commandés par Monsieur le Duc de Roan au Pays de Gex, avec bâtons, haches et pierres, démonté quatre d’iceux et pris forcement leurs gardes et chevaux, qui depuis auraient été remis au Sr de Montiouvent [Montjouvent], (... et les condamnons) chacun en l’amende de 50 livres envers ledit procureur d’office, payable solidairement et sans division (...), lesdits Louis Perret et Amed Bordon (...étant rendus libres...). Prononcé le 22 juillet 1638."

Ce document, bien que répétant trois fois la liste des mis en cause, est un peu confus sur les condamnés : dans la première liste, celle des accusés et défendeurs, ils sont 14 hommes cités. Dans la deuxième liste, celle des jugés responsables, il en manque trois, les deux premiers cités (Chevron et Perret) et le dernier (Bordon) ! Dans la troisième, celle des condamnés, ils ne sont plus que deux à être déclarés libres, Perret et Bordon, tandis que ledit Chevron est ajouté en milieu de liste pour un total de douze condamnés.

L'exploit, rédigé deux jours plus tard, le 24 juillet 1638 [f° 22 des archives notariales de la cure], confirme définitivement les même douze derniers cités comme condamnés, excluant les deuxième (Perret) et dernier (Bordon) cités de la première liste.

Commentaires (Cédric Mottier)

Le duc Henri II de Rohan était, à l'époque des faits, de retour d'une campagne militaire en Suisse menée contre les Autrichiens, et se trouvait de passage à Genève. Protestant, il décèdera le 28 février 1638 et sera inhumé à Genève, loin de sa Bretagne natale !

D'après la généalogie des Montjouvent (lignage bugiste) publiée dans Guichenon dans Histoire de Bresse et de Bugey, Lyon 1650 (p. 269-272), ce sieur de Montjouvent est certainement Claude de Montjouvent, seigneur de Bohas, du Chaney et de la maison-forte d'Echallon, et donc de seigneuries peu éloignées de Champfromier, au moins pour Bohas et Echallon. Il commanda longtemps en France une compagnie de chevau-légers pour le compte du roi, avant de décéder en 1644 à Lisbonne, maître de camp d'un régiment de cavalerie du royaume de Portugal.

La prise de ces armes et de ces quatre chevaux des armées du Roi ne semble pas à mettre au compte d'un acte de guerre perpétré par des traîtres à la France (qui auraient été des partisans des Cuanais, opposés aux Gris du Bugey). A mon avis, ces faits ne relèvent que du simple brigandage, même s'il fallait être très audacieux pour s'en prendre à des cavaliers du roi de France ! En effet, si ces hommes avaient été des traitres, une fois pris par les autorités (ce qui fut le cas), ils auraient vraisemblablement été exécutés, et peut-être même de manière expéditive (à l’instar des Comtois qui seront précipités par les Gris depuis le pont de l’Enfer de Champfromier), tandis que là, ils sont même remis en liberté le temps que leur procès soit instruit, ce qui n'aura lieu que plus d’une année après les faits.

Brigands, dans un contexte de désolations ambiantes, mais pas traîtres. Je pense même que la compagnie de chevau-légers du sieur de Montjouvent pouvait relever de l’armée commandée par le duc de Rohan (qui porta lui-même l’uniforme de cette arme de cavalerie légère), et que, loin d’être le commanditaire ou le receleur du larcin, ce capitaine aura finalement réussi à récupérer le matériel volé à ses hommes, ce qui, compte tenu aussi qu'il n'y avait pas eu mort d'hommes, a pu atténuer la peine de nos brigands de Champfromier.

Et la suite ?

Les archives retrouvées n'en disent pas plus sur les motifs de l'audacieuse attaque et prise de quatre chevaux de l'armée du roi, ni sur ceux qui ont réellement récupéré les chevaux. Ce qui est certain, même si les papiers furent conservés durant plus de trois siècles à la cure sans qu'aucune publication n'en ai jamais fait aucune mention... , c'est que la lourde peine collective financière aura fortement pénalisé la famille d'Aimé Chevron, dont ce ne fut pas le seul malheur, avec des répercussions financières durant plusieurs décennies, et probablement aussi de fortes animosités relationnelles pour les veuves du principal condamné et de son père...

Rappelons que 12 hommes furent condamnés chacun et solidairement à 50 livres d'amendes, soit 600 livres au total, plus les frais annexes. En plus, les frais seront considérables, on en aura le détail en 1647, s'élevant à un total de 162 livres 4 sols. Au total ce méfait aura donc coûté aux familles de Monnetier un total de 762 livres et 4 sols qu'il faudra payer en amendes et frais. Sachant qu'une vache valait environ 20 livres, il fallait donc compter environ 38 vaches, soit plus de 3 vaches par individu, prix à payer pour cette attaque inconsidérée des Armées du Roi ! Pour information, précisons que les frais furent répartis de la manière suivante : "à Monsieur le juge 60 livres 12 sols (soit le prix de 3 vaches) ; à Monsieur Berthet, procureur d'office, 39 livres 9 sols ; au greffier, 62 livres 3 sols".

De plus il faut payer vite. Apparemment les douze condamnés n'arrivent qu'à réunir 280 livres environ. Il manque 321 livres 16 sols tournois pour payer l'amende, sans compter les frais.

C'est le premier cité de la liste des accusés qui va se charger de toutes les démarches. Le 1er août 1638, c'est Amed (Aimé) Ducret dit Chevron [CI-9178], qui emprunte seul cette somme à des bourgeois de Nantua (Jacquet et Cappon, fermiers des revenus du prieuré) en précisant bien que c'est pour payer l'amende de l'ensemble des condamnés et, trop bien confiant, en promettant de rembourser cette somme au Noël prochain... Le même jour il emprunte encore (cette fois directement à MBertrand Berthet, procureur d'office des Terres de Nantua, futur notaire) 162 livres 4 sols, pour payer les frais, soit au total un emprunt de 484 livres... Naturellement il espère se faire rapidement rembourser de cet emprunt tous les autres condamnés...

Mais les picorées mettent Monnetier à feu et à sang dès l'année suivante, c'est la terrible années 1639. Amed Chevron meurt, très probablement tué par les comtois le 14 octobre 1639 (sinon, sous le nom de Amed Ducret le 27 novembre 1639, sans cause connue), et évidemment les 321 livres empruntées ne seront pas remboursées à Noël. Le calme est à peine revenu que Mya Jullian [9198], sa veuve, voit arriver dès le mois de mai 1640 le sergent de Montanges. Les créanciers n'ont évidemment que faire que son mari vienne de mourir : en vertu des lettres obtenues en la souveraine cour de Dijon le 14jour du mois de janvier, le sergent vient lui réclamer le montant de la somme empruntée. La pauvre Mya lui répond que ni lui ni les héritiers d'Amed n'ont cette somme d'argent ! Qu'à cela ne tienne, le sergent l'informe immédiatement que les biens consistant en la moitié indivise de leur maison au Châtelard et autres jardins, prés clos et terres feront le compte....

C'est probablement suite à cette injonction à payer que fut rédigée (bien des années plus tard) l'extrait de sentence délivré à "Claude [8493 ?], fils de feu Amed Chevron" de Monestier, sentence inédite archivée à la cure. Sans cette copie, nous ignorerions encore tout de cette affaire ! Remarquons aussi qu'à la date de l'original, contrairement aux affirmations que Monnetier fut entièrement incendié, la maison de la veuve au Chatelard n'a visiblement pas été brûlée par les Comtois, ou pas encore, puisqu'elle semble normalement habitée par celle-ci...

On ne sait pas si cette somme, qui devait être remboursée au Noël 1639, fut payée ou saisie. Par contre l'autre emprunt, celui de 162 livres contracté pour payer les frais, fut bien remboursé par l'infortunée veuve d'Amed, le 11 mai 1747.

Plus de vingt ans après les faits, tout n'est pas encore terminé : Claude-Antoine Genolin, l'un des douze condamnés, n'a toujours pas remboursé sa part... Le 11 mai 1661 la veuve Chevron adresse donc une supplique pour le faire comparaître en justice et qu'il paye enfin sa part...

1658, trente ans après les faits, Mya Jullian, la veuve d'Amed, est encore la proie des tribunaux, et même semble-t-il, avec acharnement et mépris, même s'il s'agit d'une tout autre affaire. Le banc de Cour de Montanges la convoque, l'assigne, presque avec vulgarité, "la" Amie Juillian, convocation pour 2 livres ! [Cure, notaires, f° 85 (3 octobre 1658)].

D'autres conséquences ?

On l'a vu, en 1647, l'un des condamnés n'avait pas encore remboursé sa part à la veuve Chevron. Peut-on imaginer que les co-condamnés, du moins ceux qui remboursèrent leur part d'amende, s'en acquittèrent mais s'en soient vengé par la suite ? C'est possible. Rappelons qu'Amed était fils du second lit de sa mère. Il avait un frère utérin du premier lit un "Claude Marquis-Chevron", autrement dit un demi-frère de nom usuel Chevron. Il est vrai que l'on dénombre plusieurs hommes ayant pu se faire appeler "Claude Chevron", mais il est étonnant qu'un homme de même nom, Claude Chevron d'Evuaz, à qui on voulait du mal, "français" précise-t-on, fut accusé d'avoir tué le brave Capitaine Brunet (c'était l'année qui suivit la prise des chevaux à l'Auger), et conduit dans les prisons de Belley avant d'être reconnu innocent et absous. Et c'est d'ailleurs par la volumineuse procédure de son procès que le Dr Auguste Guillermet a pu porter à notre connaissance une partie du récit des exactions commises par les Cuanais à Champfromier [Dr Guillerment, Une Page d'Histoire locale (p. 80)]. Ce Claude était-il le demi-frère d'Amed ? Si oui, l'acharnement s'était bien porté sur la famille du feu Amed, de quoi alimenter une rivalité clanique durant toute une vie, une de plus à Champfromier ?

 

 

 

Publication : Ghislain Lancel. Commentaires : Cédric Mottier. Source : Archives de la cure de Champfromier, AD 01 ; Image : Chevau-léger (Voir le site, De Rohan à Turenne) .

Première publication en 2013. Dernière mise à jour de cette page, idem.

 

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