Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Le renouvellement des us et coutumes
de Champfromier en 1625 (repris de 1454)

Le manuscrit 263 (Voir le fonds inédit privé) est un petit cahier de 16 pages particulièrement précieux, puisque il est une copie du renouvellement des terrier et reconnaissance de Champfromier en 1625, copie collationnée directement (en 1738 ou 1739) du Livre des terriers de Nantua. Contrairement à ce que nous laissent penser les mentions de "terrier", on n'y trouvera pas la l'énumération des parcelles cultivées mais la liste des reconnaissances, on pourrait dire des us et coutumes, entre la paroisse de Champfromier et le seigneur prieur de St-Pierre de Nantua, dont la terre de Champfromier relevait depuis plusieurs siècles. On y trouvera donc les conventions concernant la mainmorte, une description inédite de la délimitation entre la terre de Nantua à Champfromier et celle de l'abbaye de Chézery, l'obligation de défense par les hommes de Champfromier du château de La Batie à Montanges, et aussi des coutumes bien plus anciennes, celles de 1454, concernant tout aussi bien la dot d'une femme qui viendrait à mourir que le devenir des biens d'un homme qui s'en irait vivre hors des terres du prieuré. Ces écrits concernent la paroisse de Champfromier, laquelle englobait alors trois villages distincts, et non des hameaux, Champfromier lui-même, Monnetier et Communal. Il n'y a aucune mention de la Combe d'Evuaz, de Conjocle ni de Giron-devant.

Liste des hommes de Champfromier en 1625

Le manuscrit comporte en deuxième partie de la copie, la liste des hommes qui accordent leur procuration à leurs représentants, soit plus des deux tiers des habitants de la parroisse de Champfromier, par acte passé en date du 22 juillet 1625 pardevant MJean Genolin, notaire royal de Monnetier.

Les hommes députés par les leurs se retrouvent cités deux fois, dans la procuration et dans l'acte de renouvellement, avec de légères variantes. Le renouvellement semble plus précis : "Philibert fils de feu Claude Legon de Champfromier, scindic moderne de la parroisse dudit lieu, Pierre Tavernier dit Tournier dudit Champfromier, Roland Marquis [p. 2] dit Couderier de Communal, Amé Marquis dit Burdin et Claude Mermet dit Guy de Munetier [Monnetier] dépendant de ladite parroisse, conseillers en icelle". La procuration attache les noms usuels, supprime l'ascendance Legon, ajoute et mélange les syndics et conseillers en laissant le flou sur Monnetier : "Philibert Legon, [p. 14], moderne scindic du village dudit Champfromier, Pierre Tavernier-Tournier dudit lieu de Champfromier, Roland Marquis-Couderier de Communal et Amed Marquis-Burdin, Claude Mermet-Guy scindic et conseiller desdits villages de Champfromier, Monestier et Communal".

La liste des 45 témoins constitués provient uniquent de la procuration : "Claude Humbert-Julian, Jacque et Jean enfant(s) de feu Claude-Julian-Baron, Thomas [p. 13] Jantet, Claude Julian, Claude Curt-Bajot, Jean Tavernier-Tournier, Pierre Julian-Monet, Martin Goy-Chardon, Jean fils de Claude Corboz-Jomaine, Philibert Goy-Ducrest, Naime Prost, Philibert Bornet, Thièven Tavernier tailleur d’habit, Humbert Bornet, MLouis Bornet opérateur, Thèvin Dufut, Claude Chary, Roland Curt-Guibert, Roland Michel (Michy), Louis Marquis-Grisard, Nicolas fils de feu Amed Tavernier-Tournier, Martin Mermillon, Amed Tavernier-Petit, Claude-Jean fils de feu Amé Mangé, Pierre Turchet, Bartholomé Tournier, Amed et Claude enfants de feu François Ducrest, Roland Goy-Ducrest, Pierre Bandy, Amed Corboz dit Goy, Laurent et Marc Bornet frères, Martin Julian-Baron, Jacque Goy-Ducres, Pierre Tavernier-Gonet, Jacque fils de Jean Couderier, Gaspard Bornet, Claude Burdin, Claude Marquis-Coudurier, Thévenin fils de feu Claude Godart, Pierre Bornet le jeune, Amed Baron, Thièven Seigne-Quartier".

On constate que presque tous les patronymes sont encore connus. Deux professions sont citées, tailleur d'habits et opérateur (chirurgien ?), les autres sont donc de petits exploitants agricoles. Rappelons que cette liste de 45 personnes devait comporter plus des deux-tiers des hommes faisant feu. Le nombre total calculé donne donc 66 votants au maximum, soit avec les cinq mandatés et le curé un maximum de 72 feux pour les trois villages de la paroisse de Champfromier en 1625. C'est le nombre de feux le plus bas de ceux connus ou estimés pour le XVIIsiècle.

Le renouvellement des us et coutumes de 1625

L'acte principal est passé le même jour 22 juillet 1625 que celui de la procuration. Le notaire est MPierre Galet, notaire royal, bourgeois d’Arbent, commissaire député au renouvellement des extentes, terriers et reconnoissances du prieuré St-Pierre de Nantua, de la part de Messire André Frémiot, patriarche archevêque de Bourges, primat d’Aquitaine, conseiller du roy en ses conseils d’état et privé, abbé de St-Estienne de Dijon, prieur et commanditaire dudit prieuré de Nantua. Les reconnaissances seront rédigées dans le même ordre que lors de la dernière fois (par feu MHumbert Bertrand et Jean de Bosco, sans date [17 mars 1461]), et en vertu de l'arrêt obtenu contre les habitants de Champfromier en Cour de Bourgogne le 3 juillet 1620, et de la transaction entre eux et le prieur reçue par MForas, notaire royal de Nantua, le 17 novembre 1622. Ainsi, les syndics, conseillers et procureurs de la paroisse de Champfromier ont confessé et reconnu ce qui suit :

taillables ou pas, mais mainmortables, avec les limites à nouveau définies entre Champfromier et Chézery

[1°] "Etre, vouloir être et devoir être perpétuellement hommes [du seigneur prieur], les uns taillables (à taille toutefois modérée), les autres liège et franc de taille, néanmoins tout ensemblement […] être, vouloir être et devoir être de mainmorte". Rappelons qu'en 1608, les hommes de la paroisse de Champfromier, avaient été les seuls à refuser du prieur de Nantua l'affranchissement des serfs, l'abolition de la mainmorte (qu'ils conservèrent donc jusqu'en 1789) et des corvées, et ce refus avait été reconnu en 1616 par un arrêt du Palais à Dijon.

Cette reconnaissance s'appliquait à "chacunes leurs choses, héritages et possessions, maisons, granges, curtils, vergers, prez, terre, esserts, essertages, paquerage, boucheage, abbérages, eaux, cour d’eau, communauté et autres usages quelconques assis et situées dans ladite parroisse de Champfromier, soit en Joux-Noire et autre montagne [alpages] ou planure [planeure, terrain plat] cultivées ou à cultiver, entend que les limites d’icelles parroisses s’étendent jusqu’au limitation de ceux de Chézery et autres parroisses circonvoisines, ensemble tous ce qu’ils ont et possèdent en ladite terre de Nantua, lesquelles limites sont et se prennent du costé de Chésery par le nan [nant, ruisseau] qui [p. 5] court par le milieu de Les Ramaz et descend du molard de Chalamoz [Le ruisseau de Forens, ayant sa source près du Crêt de Chalam], allant et tendant droit [au plus court] en la sommité de la Servette [Sommet non identifié ; la servette, petite serve, désignait aussi un petit étang (en Savoie)] de ceux de Charvairon [Patronyme connu, mais localité non identifiée], laquelle servette est situé sur les prez de ceux de la Charbonnière [Hameau de Chézery], et de là tendant droit par le milieu de l’exart [essart] ou ravière qu’autrefois avoient été faitte par feu Poncet Pola Praz et Mermet Caillet [Poncet et Mermet étaient des prénoms, des même origines que Pierre et Guillaume (Voir la délimitation de 1340, où leurs noms figuraient déjà, bien déformés en trois siècles)], et par le Grand Rochert qui est jouxte ledit exart, lequel rochert a été anciennement croissée et marquées par les prédécesseurs desdits habitants de la parroisse et ceux dudit Chésery [Croix de délimitation religieuse, sinon des possessions de la Savoie], et de là tendant droit par les rochers étant en la sommités des exarts de ceux de Charvairon, et en outre tendant droit par le dessus des exarts de la Banche [Lanche, L’Auche] et dès là jusqu’au lieu de la Chanalette [???], ainsy qu’ils ont accoutumé ".

Naturellement il était nécessaire de bien définir les limites toujours litigieuses entre Champfromier et Chézery, paroisses voisines mais relevant d'abbayes d'ordres distincts (bénédictins et cisterciens)... Cette nouvelle description de la délimitation, que l'on pourra comparer avec celle transcrite dans l'abergement de 1439, n'est clairement compréhensible que pour ses premiers lieux-dits (dont la délimitation communale actuelle diffère peu, prenant les sommets comme limites au lieu de la vallée, mais elle y est parallèle), les autres toponymes (Charvairon, Essart de feu Poncet, Banche, Chanalette, etc.) n'ayant plus d'écho. Le rocher anciennement "croissé", l'était déjà en 1439, puisqu'il en est fait mention : "par ladicte vy ou chemin des Croix jusques à la Montaigne Noire ou Jou Noyres".

Les servis annuels

[2°] Les hommes de Champfromier confessent devoir en servis annuels et perpétuels [en principe, taxe sur les abergements], 12 quarteaux de froment, 3 quarteaux d’avoine à raison de 6 métières le quartal, et en outre  3 grand quarteaux, 2 métières et demi, et le sixième d’une autre métière aussi d’avoine, le tout de bon blé (grain) pur, nu et recevable à la mesure de Nantua, et en espèces, trois livres et quatre sols tournois, les livres Genevoises étant converties en monnaie de France, plus sept deniers tournois pour arpages, le tout payable tous les ans, perpétuellement, audit prieuré de Nantua à la St-Michel Archange.

Le quarteau était une mesure de capacité des céréales, probablement un quart de boisseau. Saint-Michel était le saint patron du prieuré de Nantua, fêté le 29 septembre, jour aussi de nombreuses foires, comme celle de Nantua.

La taille annuelle

[3°] Ils doivent ensemble, pour la taille annuelle et perpétuelle, modérée ainsi qu'il est dit dans de précédentes reconnaissances (probablement en proportion de ceux qui sont restés taillables, les autres étant liges) les 3/7de 70 florins, soit trente florins d'or, bon et commun, payable par moitiés à Carême et à la Pentecôte.

Il existait deux tailles, l'une dite réelle, sur les biens, et l'autre appelée personnelle. De cette dernière seule on pouvait être affranchi, ce qui semble le cas ici pour plus de la moitié des hommes. Elle était donc collectée ici par l'intermédiaire du prieur avant d'être reversée au roi.

Les dîmes

[4°] Pas de répartition compliquée, elles reviennent toutes au prieuré de Nantua, et de toute ancienneté !

La défense du château de La Batie, à Montanges

[5°] Les habitants de la parroisse de Champfromier, en vertu de précédentes reconaissances, sont tenus et astreints "à la deffenses et gay [garde] du château de La Batie de Montange appartenant auxdits révérendissimes seigneurs, prieur et religieux dudit prieuré de Nantua, et en iceluy faire gay, garde et exargay toutefois et quand que de leurs part ou de leurs officiers sera enjoint, et notifié aussy aller à service [militaire], aide et protection et assistance à leurs voix et crys [Criée prononcée à la sortie de la messe, par l’officier du châtelain] lors et quand il sera nécessaire et qu’il leurs viendra à notice [à leur connaissance] et en tous les autres cas et articles ez quels l’homme liège fidelle est sujet et tenus à son bon et droiturier seigneur, et qu’il luy peut être tenus selon la forme de la nouvelle et vielle fidélité, et tout ainsy que les hommes de telles conditions sont tenus et abstreints ".

La Batie, est encore mentionné comme lieu-dit sur les cartes IGN de Montanges au sud de la commune, mais de cette défense présumée construite en bois, il ne reste plus aucune trace. Elle contrôlait à leur rencontre les deux vallées de Semine et de Valserine. Une tour de garde est citée dès 1308 (pré-inventaire du canton).

La transaction de 1454

[6°] Enfin, ils reconnaissent les transactions passées, dont celle de 1454 et l’article du livre du notaire Peronnet Tete, et en particulier ce qui suit.

Dot d'une fille mariée qui décède

[6a] Chaque fois qu'une fille mariée, à laquelle aura été constitué une dot par son père, viendra à décéder en quelque lieu que se soit, sans enfant naturel et légitime né après son mariage du vivant de son père, alors ladite dot retrournera à son père ; mais si le père est lui-même décédé, alors le révérendissime seigneur prieur de Nantua et son couvent en auront un tiers. Voir en 6d, le cas où elle se marie hors de la paroisse.

Vente de tous ses biens

[6b] Chaque fois qu'un des habitants de la parroisse de Champfromier viendra à vendre et aliéner tous ses biens et héritages, et que par ce moyen le feu (foyer fiscal) viendra à s’éteindre et à vaquer, alors il en reviendra un tiers de la valeur au prieur, "sans pouvoir élire [choisir] ny choisir la maison, la pise, le pison, le cumacla ni le coq" [En droit savoyard, la pise, le pison, le cumacla et le coq, entendons le mortier, le pilon, la crémaillère et la marmite, représentaient le minimum vital et ne pouvaient-être saisis...]

S'en aller de la terre de Nantua...

[6c] Si un habitant s'en allait vivre hors de la terre de Nantua pour plus d'un an et un jour, il sera préavisé par une seule déclaration publique de revenir dans les trois mois, sauf à être détenu "de grande maladie et infirmité ou d’injurieuse détention de sa personne", et s'il ne revient pas, ledit seigneur prieur de Nantua prendra tous ses biens et héritages, sauf toutefois s'il y a deux ou trois frères ou un indivis et que l'un demeure en la maison en y faisant feu.

Nota : On pourra en observer une application en 1649 [H65].

Mariage hors de la paroisse

[6d] Si une fille ou une sœur d'un habitant de Champfromier se marie hors de la paroisse, il devra payer audit prieur six deniers gros, monaie de Savoye courante, en une fois dans les quinze jours qui suivent la célébration des noces. Et au cas où lesdits six gros n’auraient pas été payés dans ledit terme et que la femme vienne à décéder sans enfant, ledit révérendissime seigneur prieur et son couvent prendront la tierce partie de sa dot (voir 6a)

Pas d'autre seigneur que Nantua !

[6e] Les hommes de Champfromier reconnaissent enfin et d'une manière générale que les prieur et religieux de Nantua ont sur eux tous les pouvoirs, exercés par leurs juges, baillis, châtelain, sergents, procureurs et autres officiers, haute, moyenne et basse justice, "qu’ils n’ont, ny ne deuvent avoir autre seigneur plus grand ni moindre que le révérendissime seigneur prieur et couvent dudit Nantua". Tous les trois ans ils doivent en justifier par la production d'un document, du moins pour le paiement des servis et tailles.

Ainsi s'achèvent les clauses de ce vénérable document, fait et passé à Nantua, dans le logis de l’infirmerie, en présence de Toussaint Guyet, bourgeois de Dijon, messire Pierre Mermet, prêtre et curé dudit Champfromier, honnête Pierre Jarcelat dit Beybin et MCharles Lanon de St-Germain-de-Joux, témoins à ce requis.

 

Voir la copie intégrale du Mss 263.

 

Publication Ghislain Lancel, inédit       

 

Remerciements : Manuscrit 263, collection privée.

Première édition de cette page, le 7 août 2009. Dernière mise à jour le 28 mars 2013.

 

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