Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
Plus il y a de monde, plus on fait rentrer d'impôts, et mieux s'en portent les dirigeants... Sous l'Ancien régime, on accueillait donc avec plaisir le manant qui venait s'installer sur ses terres et, inversement, on tentait de limiter l'exode. Le prieur de Nantua, seigneur de Champfromier et de bien d'autres paroisses, avait ainsi fait rédiger en ce sens des règlements internes, sortes d'us et coutumes, qui devaient ensuite être l'objet de "reconnaissances" par les communautés. En 1625, une telle charte en reprenait une plus ancienne, de 1454.
D'une manière générale les Champfromérand émigrent beaucoup moins au XVIe qu’aux siècles uivants, et leur émigration est un peu similaire à celle des Chézerands, même si elle est moindre : plutôt vers les montagnes (les Bauges, le Haut jura) ou vers le Bugey et la Franche Comté.
Le recensement de Lyon de 1597 ne mentionne aucun habitant natif de Champfromier, et un seul chef de famille originaire de Chézery. Par contre, il y a en a plus d’une dizaine de Châtillon de Michaille, placé comme St-Martin du Fresne sur la route de Genève…
Voyons ce qui concerne ceux qui quittent le pays en 1625, entendons les habitants de Champfromier qui partent de la Terre de Nantua (allant d'ouest en est, de Meyriat à Montanges, et du nord au sud, d'Arbent à Lompnes). Il y est précisé que, sauf licence (autorisation spéciale), tout habitant absent de cette terre durant un an, et sauf maladie, infirmité ou séquestre guerrier, après avis et trois mois pour revenir, il verra tous ses biens et héritages revenir au seigneur, sauf encore s'il a deux ou trois frères et que l'un reste faire feu (fiscal) à Champfromier :
"[6c] Item, lorsque que quelq’uns desdits habitants de la paroisse de Champfromier s’en ira sans licence [p. 9] hors la terre … dudit Nantua et demeurera absent par an et jour, les biens et héritages duquel absent se disent appartenir auxdits révérendissime seigneur prieur, à sondit couvent de Nantua de bonne équité, selon les usages et coutumes de ladite terre, c’est à sçavoir, après qu’au lieu où sont située lesdits biens et héritages, et que l’on a accoutumées faire crier et proclamation publiquement, ledit absent aura été préavisée et admonesté avoir de cry une seule fois et à un seul terme de s’en retourner dans trois mois après ledit terme et lesdits an et jour, n’étant détenus de grande maladie et infirmité ou d’injurieuse détention de sa personne, de s’en retourner desquels empeschements ou de l’un d’iceux, il sera tenus duement faire aparoir audit révérendissime seigneur ou à son vicaire audit prieuré dans lesdits termes, autrement les an et jour et terme susdits exprimés, ledit révérendissime seigneur prieur prendra tous lesdits biens et héritages, ainsy que de toutes anciennetté il est en coutume de faire, sauf toutefois que quand il aura deux ou trois frères ou plusieurs indiviseurs, lors l’un demeurera en la maison et y faisant feu, les autres pourront aller aillieurs où bon leurs semblera à leur affanage sans licence" [Fonds Delaville Mss 263].
Cette sorte de coutume reconnue ayant valeur devant les tribunaux, elle pouvait s'excercer. Les cas connus sont rares, mais l'un est explicite en 1649.
Les archives de l'Ain [H 65] conservent un avis de l'année 1649 concernant l'absence de dix personnes de la paroisse de Champfromier. Pierre Mermety, fils du châtelain de Montanges, est alors curé de Champfromier. Très versé dans les affaires financières, – il sera même considéré comme suspect dans des amodiations du Crêt de Chalam en 1653 –, celui-ci signe le rapport comme quoi, le premier août 1649, à la requête du prieur de Nantua, il a bien lu et publié l'avis au prône de l'église de Champfromier. Claude Louverier, sergent ordinaire de la Terre de Nantua, précise que d'abondance, lui aussi, a bien "lu, publié et prononcé à haute et intelligible voix (l'avis) sur le cimetière de la paroisse". Et enfin extrait en a été publié au ban de la Cour de Châtellenie de Montanges, et enregistré au greffe dudit Montanges par Fremyn Devaux, vis curial du lieu. Tout était donc en règle pour que les absents, par l'intermédiaire de leurs familles et amis, soient prévenus. Et par parenthèse, nous ne pouvons de nos jours que déplorer que rien ne semble subsister des papiers de ce greffe de Montanges...
On remarquera qu'on leur donne trois mois pour revenir, conformément à la reconnaissance passée, mais que les clauses d'exceptions, en particulier par la présence d'un frère faisant feu, n'est pas évoquée...
Les dix absents de 1649 sont : "Amed [CI-7919], Pierre [7964] et Pierre-Anthoine [8074] enfants de feu Estienne Tavernier dit Petit-Claude, Jhean [10680] et Henry [10681] Soudan frères, Thyven Jantet [10192] soit ses héritiers, Claude [10356] fils de feu Michel Jomenoz dit Riollet, Felix [10682] et Jhean [10683] enfants de feu Claude Marquis-Burdin, Martin Flory-Renard [Giron-Devant ?]"
Pourquoi sont-ils partis ? Les trois fils cités de feu Etienne Tavernier semblent procéder de la cause la plus courante. Leur père, Etienne, dit Petit-Claude [CI-10213, si c'est bien lui], était connu pour avoir été tailleur d'habits, communier en 1625 [Mss 263]. Il eut au moins 8 enfants dont 7 fils (et à trois fois des fils jumeaux viables...) d'une épouse qui n'est pas de Champfromier (Une Fumet, toponyme connu à Brénod). Nemoz, l'aîné des fils, demeure dans la paroisse de Champfromier (Monnetier ?), de même que deux autre frères. On peut donc présumer que, de par leur mère native d'ailleurs et de par de probables contrats d'apprentissage du même métier que leur père tailleur d'habits, les trois fils absents ont très tôt vécu ailleurs qu'à Champfromier et que trois fils étant sur place, il n'y avait pas de débouché pour tous les enfants, trois sont allés chercher fortune ailleurs. De plus, n'étant pas d'importants propriétaires terriens, ils ne prenaient pas grands risques à ce qu'ils soient privés de leurs biens et héritages à Champfromier. En 1649, Amed était déjà marié en secondes noces (avec une femme de Nantua, ou des environs). De Pierre on ne sait rien. Quant à Pierre-Antoine, il est revenu, puisqu'il épousa sa femme à Champfromier en 1655. Pour cette période, on trouve des décès ou mariages Tavernier aux Neyrolles, à Vouvray et à Hautecour-Romanèche.
Les Soudan ne sont pas de famille connue à Champfromier, ils ont du partir comme ils étaient venus... On en relève à Poncin, à Lantenay, aux Abergement, à Vieu d'Izenave, etc.
Les Jeantet n'ont eut qu'une courte présence à Champfromier, dont ce Thyvin dont on a la trace. Remarquons qu'étant déjà âgé, l'avis prend soin de préciser : lui ou ses héritiers !
Les Jomaine-Riollet ne furent guère présents plus longtemps à Champfromier.
Les Marquis-Burdin sont par contre bien connus à Champfromier (mais pas ces deux frères). Probablement trop nombreux, ce fut certainement un encouragement pour certains à partir ailleurs ! On retrouvera des Marquis-Bordon dans la liste suivante des émigrés de 1669/70, et dans la généalogie des Duraffour-Ducrot [B. Guyot, p. 190]
Les Flory, avec une branche inédite Flory-Renard, étaient le plus souvent natifs de Giron-Devant.
En 1669 partirent de Champfromier au moins de 29 personnes (17 personnes citées et 6 fois l'expression plurielle de "les enfants", donc au moins 12 autres personnes). Le nombre en est certainement plus important, car aucune femme ou fille n'est citée. Ces "absents" depuis un an en 1670 se décomposent en 19 familles assimilables à autant de feux (soit une quinzaine de patronymes différents), les Bandy-Rubillon, Bollu [présumés les Flory-Bollu de Giron-Devant], Bornet (plusieurs familles), Colon [Colomb], Curt, Ducret (plusieurs familles), Ducret dit à Jacques, Flory-Guichard (de Giron-Devant ?), Jenolin [Genolin-Félix], Jenolin-Pichy [Genolin], Marquis-Bordon, Marquis-Perret, Marquis-Tissot, Mermet-Guy, Tavernier-Fridet. Certains sont bien connus, comme les Genolin-Pochy que l'on retrouve à Aillon-en-Bauges en Savoie où ils semblent partis avec les Ducret Didier, les enfants de Jean Bornet opérateur, et Me Jean Bornet dont on nous dit qu'il est notaire en Bourgogne. Certains semblent retrouvés, comme ce Baudy présumé marié en secondes noces en 1661 à Nantua, ou un fils de Maxime Flory-Guichard qui semble être à Lyon. Pour info, signalons qu'on ne partait pas que de Champfromier. Citons ainsi ce Philibert fils de feu Anthoyne Blanc de Chézery, qui habitait à Aillon en 1692 tandis que son frère Henry était resté à Chézery [3E 17069, f° 48].
Ces absents depuis un an de la Terre de Nantua sont sommés, le 13 avril 1670, de rentrer dans les 3 mois, sous peine de voir leurs biens acquis par leur seigneur prieur de Nantua.
En voici la liste complète : "Marc [CI-9234] et Amed [9221] Marquis-Bordon frères, Louys Marquis-Perret [9977 ?], Pierre [9239 ?] et Nicolas [8246] Ducrest dit Jaques frères, Me Jean Bornet [10688] notaire au Comté de Bourgogne, Claude [8395], Anthoine [9938] et autres enfants [Roland et Jeanne (8465 et 8315) ?] de fut Thieven Jenolin-Pochy [9824], Estienne [f° 2v] Jenolin-Pochy leur oncle [10689], Henry Colon [Colomb 9181], Pierre [8259] fils de Louys [9167] Curt, les enfants [Bernarde et Pernette (8616 et 8710) ?] de fut Claude Marquis-Tissot [7971 ?], les enfants de fut Laurent Bornet [9857 (4 ou 5 enfants dont au moins un Claude 8228)], Estienne Tavernier-Fridet [8357], les enfants [Claude 8159 (?)] de Maxime Flory-Guichard [Giron-Devant ?], les enfants [Péronne 8148 (?)] de Jean Bolu [Flory dit Bollu, de Giron-Devant (?)], les enfants [six sont connus, tous des fils, dont deux semblant décédés à Champfromier, tous sans plus d'informations] de Jean Bornet [9859] opérateur, Claude Baudy-Rubilion [8310], Claude [10690] fils de Jacques Mermet-Guy, Pierre [8241] fils de fut Claude Jenolin [Genolin-Félix (9932)], Claude [8321 ?] fils de fut Bernard Ducrest, Claude [7996] et Thieven [9223] enfants de fut Didier Ducrest, tous de ladite paroisse."
Cette émigration spectaculaire d'une trentaine de familles (une vingtaine de feux) semble bien confirmée par le dénombrement fait par l'intendant Bouchu, et qui est donné pour les années 1666/69, avec une baisse spectaculaire du nombre de feux passant de 116 à 80 (si l'on considère comme une erreur évidente que ce nombre soit celui des habitants !)
Fait étonnant, ces familles ne semblent pas parties au même endroit, mais néanmoins la même année 1669 (à moins que la réaction du prieur ait tardé à venir après les premiers départs). Pour ce que l'on sait, ces hommes sont mariés et déjà bien âgés (40 à 60 ans). Pour l'instant une seule destination connue a fait souche, c'est celle de Aillon-en-Bauges, où les Genolin sont maintenant connus sous le nom de Ginollin (Jinolin). Dans ce cas un groupe important est parti, un homme et les enfants adultes de son frère défunt. Ils semblent avoir été accompagnés par les Ducret-Didier. Certains sont revenus par la suite, et en tous cas avaient gardé la gestion de leurs biens à Champfromier, passant des contrats de fermages pour leurs terres. Notons qu'en 1678 le nombre de feux remonte à 143...
Quelle est donc la cause de cette émigration massive ? Ce n'est certainement pas la surpopulation locale puisque le nombre de feux à Champfromier passera de 116 en 1605 à près de 200 en 1720 ! Il ne semble pas non plus y avoir de raison administrative ou religieuse : Giron-Devant est démembré en novembre 1669, mais on n'y voit pas de lien de cause à effet... Les picorées et son lot de désastres sont terminées depuis longtemps. Reste qu'en certains lieux le passage des troupes nuit aux populations qui doivent les héberger et voient leurs cultures ruinées...
La cause de ces mouvements de population ne serait toutefois pas qu'une fuite (ou pas seulement) mais plutôt un attrait vers d'autres lieux. Pour Lyon, des emplois nouveaux à la ville sont évidemment attractifs, du moins pour les filles qui, généralement, conservent leurs deniers propres. Pour Aillon, on peut citer la chartreuse, qui manquait certainement de bras.
En résumé, l'on partait de sa terre, en fait celle du seigneur, si la fratrie était trop nombreuse (soit pour que chacun puisse trouver du travail, soit pour multiplier et diversifier les richesses familiales, de même que l'on plaçait un fils dans le clergé), si une profession spécifique d'artisanat (à Lyon, ou chez un Maître) donnait plus d'espoir que de se maintenir attaché aux seules ressources de la terre ancestrale, si une demande ailleurs était forte (Aillon) ou si enfin la famille était de tradition itinérante à la recherche d'un avenir meilleur, ne la laissant se poser qu'une ou deux générations à un endroit donné. Signalons par ailleurs que d'autres déplacements moins spectaculaires parce que plus lents et sur des distances courtes sont aussi bien connus, comme ceux dans le sens nord-sud des gens des Bouchoux ou de Chézery vers la Combe d'Evuaz en tant que fermiers de gros propriétaires, puis des fermes isolées d'altitude vers village, et enfin de Champfromier vers les lumières des grandes villes.
On relève, peu avant les années 1700, un groupe de membres de la famille Mange immigré à Brénod.
Voir aussi Migrants.
Publication : G. Lancel (Inédit). Source : AD01, H65 (acte de 1649), H66 (acte de 1670), Fonds Delaville Mss 263. Remerciements : Bertrand Guyot.
Première publication le 29 avril 2013. Dernière mise à jour de cette page, le 26 mars 2015 .