Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

François Colliex, prêtre réfractaire arrêté en 1796

 

Le roman de vie de François Colliex, ancien prêtre réfractaire rattaché durant la période révolutionnaire à la 24e mission (Champfromier, Chézery, etc.) a laissé des traces dans la mémoire orale locale et par diverses publications, la plus connue étant celle de l'abbé Laubépin (1974). Celui-ci note (page 30), concernant la nouvelle arrestation de Colliex, à Ballon en 1796, que selon une autre version il a été arrêté à La Rivière (hameau de Chézery), vers 11 heures du soir, chez Roland Duvernay. Nous avons retrouvé dans les archives la transcription de cette arrestation. Ce fut bien chez Duvernay, et non à Ballon. Voici la transcription intégrale du compte-rendu (en français moderne, celui du texte étant parfois presque phonétique...)

Attention, il est sans nuance, inconditionnel, excessif !

 

[Début de la transcription] "Liberté, égalité, fermeté et fidélité à la patrie.

Les patriotes de la commune de Chezery, Canton de Collonges, Département de l’Ain,

au Corps administratif et judiciaire de ce Département.

 

Citoyens,

L’agent municipal de notre commune fut instruit qu’un prêtre réfractaire et émigré faisait les fonctions d’ecclésiastiques chez le nommé Rolland Duverney ; en conséquence l’agent et son adjoint, empressés de se montrer et prouver leur patriotisme, ce sont mis en activité, et donnèrent une réquisition aux capitaines de la Garde Nationale, pour commander les plus zélés Républicains de leur compagnie ;

Les deux capitaines de leur côté s’empressèrent aussi d’obéir aux ordres de l’agent municipal, et commandèrent tous les meilleurs patriotes de leur compagnie, qui se mirent sous les armes avec une grande activité ;

Étant donc rassemblés, l’agent, muni des lois relatives à cet objet, et décoré de l’écharpe tricolore, étant en tête avec son adjoint, aussi bien que les deux capitaines, nous marchâmes au domicile dudit Rolland Duverney ; Y étant arrivé, nous trouvâmes toutes les portes fermées et nous y aperçûmes qu’il y avait un grand rassemblement de monde ; En conséquence les deux capitaines mirent des sentinelles où besoin l’exigeait ; et après nous être bien disposés, l’agent frappa à la porte ; on lui vient demander qui il était; l’agent se fit connaitre et les citât au nom de la loi d’ouvrir la porte ; Point de porte ne s’ouvre, quoique l’agent faisait plusieurs instances, car il fallait savoir de mot d’ordre [de passe] pour pouvoir y rentrer ; un intervalle d’une demi-heure se passe, dans cet intervalle nous nous aperçûmes que le rassemblement qui était à l’intérieur de la maison se dissipait par les caves, écuries et grange ; après ces aperçus, nous heurtâmes plus fortement à ladite porte ; à ces bruits le gendre dudit Rolland Duverney la vient ouvrir, nous entrâmes dans la cuisine, nous y trouvâmes deux ou trois personnes qui n’étaient pas de la maison avec Louis Julliard, gendre dudit Rolland Duverney ; l’agent lui déclare que nous voulons au nom de la loi faire la visite dans tous les appartements de la maison ; il nous a répondu qu’il connaissait la loi aussi bien que nous et qu’il voulait la voir ; un des capitaines lui fit lecture de quelque arrêté relatif à ce sujet ; il nous répondit cela n’était point en forme, et de suite les femmes de la maison se mirent à crier que nous étions tous des coquins et particulièrement à l’agent ; Nous voulûmes entrer dans d’autres appartements, on trouva partout les portes très fortement serrées, après plusieurs débats de part et d’autre, on obtient d’ouvrir la porte du poêle [pièce à vivre, voisine de la cuisine] ; nous y trouvâmes une marmite remplie de feu en braise avec une chaise rangée à côté ,que nous présumâmes qu’elle servait de confessionnal ; après que nous eûmes fait la visite dudit poêle, nous remarquâmes un tas de mauvais linge, sous lequel on y trouva un trou avec des escaliers ; toujours le gendre et les femmes de ladite maison faisaient des cris en nous insultant ; on leur demanda une lampe pour nous éclairer pour apercevoir où ces escaliers communiquaient ; on nous la refusa ; nous fûmes réduits d’en aller requérir une chez le voisin ; après que nous eûmes une lampe, nous descendîmes par lesdits escaliers, nous nous trouvâmes dans une cave; nous y trouvèrent un homme caché sur un tas de pomme-terre, couvert avec une planche ; nous lui demandèrent qui il était, il nous répondit qu’il était l’abbé Collier [François Colliex] et qu’il se rendait à nous et qu’on ne lui fit point de mal ; et de suite on lui demanda s’il était nanti de passeport, et quelle profession il exerçait ; il nous répondit qu’il n’avait point de passeport, et qu’il exerçait les fonctions ecclésiastiques ;

L’agent municipal nous ordonna de le conduire chez lui afin qu’il eut le temps de dresser procès-verbal pour le faire conduire à Collonge, chef-lieu de canton ; étant arrivé chez le citoyen agent, nous prîmes une chambre pour corps de garde où nous gardions Collier de vue ; deux heures se passent; après cet intervalle nous entendîmes un coup de fusil ; c’était la sentinelle qui voyait venir un grand attroupement ; l’agent qui surveillait de même se mit à crier aux armes, nous sommes attaqués ; nous sortîmes tous du corps de garde, excepté quatre qui restèrent pour garder ledit Collier ; nous trouvâmes une troupe d’hommes sous la fenêtre dudit corps de garde, qui avait déjà enfoncé les volets de ladite fenêtre ; heureusement nous les dissipâmes, les uns laissèrent leurs chapeaux, les autres leurs bâtons ; nous en arrêtâmes deux, Louis Julliard, gendre dudit Rolland Duverney, qui apportait un crucifix audit Collier, et qui nous dit que Collier ne pouvait rien faire sans cela ; nous prîmes le crucifix et nous mirent les deux hommes dans la maison d’arrêt ; partout on voyait des grands attroupements d’hommes, femmes, vieillards et enfants, qui fusaient de toute part ; on n’en prit plusieurs car on ne savait plus où les mettre en détention ; des jeunes filles s’écriaient qu’elles voulaient voir le disciple de Jésus-Christ.

De suite nous fouillâmes ledit Coullier, nous lui trouvèrent dans le bas de sa chemise plusieurs papiers inconstitutionnels ; et aussi plusieurs lettres qu’il avait brisées très minimement ; et avec une tabatière à deux fonds, d’un côté du tabac et de l’autre des hosties qui lui valait plus que des louis ;

De plus nous avons conduit et remis ledit Coullier à l’administration municipale de Collonge, chef-lieu de ce canton, mais nous avons vu à notre retour les complices dudit Collier parcourir les communes voisines pour avertir la prise de leur chef, et pour tâcher de le faire évader, car il a manqué l’être, en passant à Châtillon de Michaille ; Ce même Collier était au commencement de la révolution, vicaire dans notre dite commune ; il prêta le serment exigé par la loi, et quelques temps après, il retira publiquement son dit serment et émigra sur les terres de Genève ou de Suisse; et comme n’ayant pas de quoi vivre, il revint secrètement sur le territoire de la République et tâcha de faire un parti pour pouvoir obtenir des faux certificats de résidence pour pouvoir se faire relever de sur la liste des émigrés, comme nous avons vu tout ce trint [ces démarches] de nos propres yeux.

Quelques temps après la municipalité et les gardes nationaux de la commune de Lancrens arrêtèrent le dit Coullier ; il fut conduit au ci-devant District de Gex ; mais Coullier et ses partisans trompèrent la religion des administrateurs et juges de ce district, car ils le remirent en liberté ;

Depuis lors cette vipère a rampé sur le territoire de notre dite commune pour y siffler un air si venimeux qu’il y a eu une maladie si contagieuse dans le sang de nos frères qu’elle semble vouloir dévorer ceux qui n’en sont pas encore attaqués ;

Citoyens, nous vous attestons que Coullier a prêché dans notre dite commune le rétablissement de la royauté, l’avilissement de la représentation nationale, y a levé des contributions, soit les ci-devant droit romain, et aussi que ceux du ci-devant évêque Pajet [Paget] pour envoyer aux émigrés, que telle (est) devenue notre commune, on n’ose le dire, le commencement d’une seconde Vendée, par les forfaits de ce scélérat et de ses associés ; cette commune était une des plus patriotiques de ce département avant que Coullier l’eut exandiée [sic (incendiée)] du feu contre-révolutionnaire ; cette commune est populeuse de 1.800 âmes, dont cette charrette de Collier en avait 1.600 à son pouvoir, il n’y reste plus qu’une cinquantaine de vrais républicains fidèles à leur serment et que les autres les appelant loups ou patriotes enrageaient ; il y en avait encore plus dans les communes voisines, dans celles de Lellex, Champfromier, Montange, Lancrens, Collonge, et Châtillon ; il correspondait avec Genolin le jeune [Joseph Genolin, ancien curé d'Echallon, chef de mission] et Jullien [Martin Juilland], le premier, émigré et le second prêtre inconstitutionnel, tous deux faisant la même profession que Collier ;

Coullier doit subir le même sort du tyran Louis XVI pour être parjure, émigré, pour avoir avili la représentation nationale, et avoir entrepris de monter sur le trône Louis dix-huit ;

Coullier doit subir le même sort des chefs de l’armée royale et catholique pour avoir porté le crucifix d’une main et en toute apparence le poignard de l’autre, car il a mis en pleine révolte, le frère contre son frère, la sœur contre sa sœur , le père contre son fils, le fils contre son père, la femme contre son mari et le mari contre sa femme ;

Citoyens, nous vous dirons que nous n’agissons pas de calomnie, de haine, ni de vengeance et tout ce que dessus est de la plus pure et sincère vérité, et que tous nos administrés et corps judiciaire doivent s’empresser de peser ce charlatan royaliste à la balance républicaine et que le poids de ses crimes lui fasse sa condamnation, et croyez, citoyens, que nos serments républicains nous font un grand devoir de vous l’annoncer ;

Citoyens, nous nous écartons pour un moment de nos devoirs, nous laissons le tout à nos juges compétents, mais nous leurs demandons très humblement que la loi soit très sévèrement exécutée à son égard aussi bien qu’à tous ceux qui lui ont donné asile sans quoi notre commune deviendrait le théâtre d’une guerre civile ;

Citoyens, nous sommes plus que persuadés que le républicanisme de nos corps administratif et judiciaire, nous sont des surs garants que ce brigand de royaliste ne paraîtra plus sur la terre libre ;

Fait à Chezery en l’assemblée des patriotes, le quatorze germinal, l’an quatre de la République française une et indivisible.

[Signé : Bouffant, capitaine ; Joseph Blanc, adjudant ; Duverney ; Dujoux ; Coll Mermillion, sergent major ; Coutty, caporal ; Jean-Marie Duraffoure ; Rolan CaryDujoux ; F Gros-Gojat ; Fe Mattieu ; Grosburdet, sergent ; Cary, caporal ; Cary ; Duraffourd ; Cary, sergent ; Julliard].

 

Nous soussignés, agent et adjoint municipal de la commune de Chezery, certifions que l’exposé ci-dessus est sincère et véritable, et que les citoyens qui l’ont signé sont vraiment soldats de notre Garde nationale, et ont été témoins ainsi que nous de tous les faits qu’ils exposent.

À Chezery le 14 Germinal 4ème année de la République.

[Signé : Grofillez, agent ; Duraffour, adjoint]." [Fin de la transcription].

 

L'abbé Colliex était le frère de Thérèse, épouse de Claude-Antoine Bellod, auteur du remarquable journal manuscrit du Grand-Abergement. Celle-ci, pour la seule raison qu'elle était sa sœur, fut incarcérée pour un temps, ainsi que son mari [La Plume et le Rabot, Laffay, etc., p. 125]. La tourmente passée, François Colliex sera curé de Léaz, Vanchy, Lancrans et Confort, puis de Champfromier de 1803 à 1809, avant que d'être affecté à d'autres paroisses. Né à Billiat en 1766, il mourra à Ambérieu le 18 juillet 1841, âgé de 75 ans.

 

Bibliographie : Chézery, par l'abbé Laubepin, pp. 29-32. Liens : Actes de Colliex, prêtre réfractaire : Colliex prêtre de Champfromier.

 

Source : AD 01, 13L17 (14 germinal an IV, soit le 24 mars 1796).

Publication : Ghislain Lancel. Transcription et rédaction par Marie-Claude Bordat.

Première parution le 7 mars 2018. Dernière mise à jour de cette page, 27/01/2022.

 

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