Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

L'Hôtel Victor Tournier

 

L'HOTEL TOURNIER, était un hôtel de grand confort, de Confort Moderne, ainsi que le rappelle son enseigne encore visible, peinte en façade de l'immeuble qui hébergeait l'ancienne Amicale des pompiers et la Bibliothèque municipale Le Champ du Livre (N° 660/670, Rue des Burgondes).

Le bâtiment ancien est assez bien connu pour figurer sur trois cartes postales anciennes, deux datant de vers 1906 où cette bâtisse n'était encore qu'un café-restaurant (CP 20 et, dans une moindre mesure, CP 67) avec sa longue enseigne "F. DUCRET - Café Restaurant ...", et une troisième carte-postale où l'hôtel était en activité (CP 18). Le bâtiment ancien disposait au rez-de-chaussée de trois larges baies comportant chacune porte et fenêtres, et d'une quatrième ouverture un peu plus haute et fermée d'une porte de grange traditionnelle en bois. Toutes étaient arquées en partie supérieure, comme on le voyait souvent dans le village. A l'étage se trouvaient aussi trois fenêtres et une quatrième également fermée de bois. Sous la toiture légèrement débordante, quatre ouvertures semblaient équipées de poulies destinées à hisser les sacs de blés ou autres objets dans le grenier. A l'arrière du bâtiment principal s'en trouvait un autre, bien plus petit et en retrait, dont on dit, sans assurance, que c'était l'écurie des chevaux de la malle poste...

Le nouveau bâtiment dispose d'une façade plus longue (intégrant le petit bâtiment en retrait) avec cinq baies au rez-de-chaussée et six fenêtres à l'étage. L'allure générale des baies et portes a été conservée pour la partie gauche de la façade, et reprise à droite, mais sans les arcatures à droite.

L'ensemble n'a pas beaucoup changé en 2008 (photo ci-dessus). Tout juste un auvent a-t-il été ajouté en partie centrale tandis qu'à droite une grande porte a été réduite à une large fenêtre. A noter qu'à gauche, avec le temps, les vieilles enseignes du Café Restaurant F. Ducret sont réapparues à travers la peinture délavée de la façade Tournier !

Historique et souvenirs de l'Hôtel Tournier

Félix-Clément Ducret [CI-6192, branche des Chevron-Jancourt, du Bordaz], est recensé dès 1891 au Pont d'Enfer, semble-t-il déjà dans le futur hôtel, mais il n'est encore dit que cultivateur et n'habite qu'avec un domestique. Il épouse Cécile Ballivet en 1892. Devenus hôteliers, il reste pour témoignage de leur nouvelle activité l'enseigne « F. Ducret » qui resurgit sous la peinture actuelle de la façade (2009). Félix Ducret était un oncle d’Eloi Ducrest, le forgeron habitant presque en face, ce qui corrobore la tradition orale selon laquelle c’est un oncle d’Eloi qui avait fait construire l’hôtel. On connaît peut-être aussi le maçon puisqu’un Pierre Cantaluppi, maçon italien, était logé à l’auberge au recensement de 1896.

Veuve en 1897, Cécile épouse en secondes noces, en juillet 1899, Marius Ducret [6207]. Ce Marius Ducret (maire de Champfromier de 1904 à 1929), est recensé en cette maison de 1911 à 1931, avec diverses professions, cordonnier (d'épouse cafetière en 1901, aubergiste en 1906, et sans profession en 1911), puis cultivateur (d'épouse dite cuisinière en 1921) et enfin comme patron de café-restaurant en 1931. Une correspondance de carte postale (le verso de la CP 102 de ce site) datée du 1er août 1923, un convalescent qui cherchait une place dans un hôtel de Champfromier mentionne que "le 3hôtel est en réparation", c'est probablement celui-ci. Cécile meurt en mars 1932, et Marius la suivra en 1936.

Peu après la mort de Cécile, le bâtiment est racheté par Victor Ducret-Lyset, pour sa fille Marie, épouse de Victor Tournier (qui eurent pour enfants André, Marie-Thérèse et Hélène). Avant de se reconvertir en hôteliers, Marie et Victor habitaient une ferme de la route de Communal (n° 588), au débouché sur cette route de l’actuelle fin tortueuse de la rue de l’Eglise. Il sont recensés dans leur nouvelle maison, hôteliers, à partir de 1936, mais l’hôtel-restaurant-café avait été inauguré dès 1933. Il occupait la partie gauche du bâtiment (côté entrée dans le village). L’autre partie (côté Pont d’Enfer), indépendante, avait été aménagée en épicerie et bureau de tabac.

Il y avait encore des écuries (ancien relai de Poste ou pas), dans un renfoncement à droite du bâtiment. Elles furent supprimées et intégrées au bâtiment et il fallut encore bien du temps pour réaliser tous les aménagements désirés pour cet hôtel voulu luxueux, du moins très confortable pour l'époque. Le panonceau de la façade le rappelle encore : « Hôtel V. Tournier – Confort Moderne ». Chacune des douze ou treize chambres était équipée d’un lavabo et, suprême raffinement, fournissant l’eau chaude ! Il y avait même une salle de bain à disposition à l’étage ! Le chauffage central, dispensait par de robustes radiateurs en fonte une douce chaleur dans chacune des chambres.

La jeune Hélène ne fut pas la moins émerveillée, ni la moins fière, de pouvoir dormir dans un grand lit pour elle toute seule ! Auparavant, comme pour presque tous les enfants du village, elle n’avait jusqu’alors dormi qu’avec sa sœur et son frère dans un même lit, en quinconce, deux enfants d’un côté du lit et le troisième de l’autre côté !

 

L’hôtel offrait le gîte à une clientèle de passage. Il accueillait aussi les nouveaux travailleurs arrivant au village, en particulier ceux des scieries, lesquels trouvaient là un abri provisoire. Mais c’est durant les deux mois d’été que l’hôtel était plein, comme du reste les deux autres hôtels du village. Seule une riche clientèle lyonnaise, essentiellement constituée de soyeux, y compris un ancien champfromérand, avait les moyens de s’offrir 10 ou 15 jours de vacances, voire trois semaines. Ces lyonnais venaient en famille, parfois même avec leur domestique. Ils y avaient pris leurs habitudes, disposaient de leurs chambres préférées, et y revenaient bien souvent chaque année.

Et des anecdotes d'hôtel, on peut vous en raconter, mais ne comptez pas qu’on va vous les coucher par écrit !

Tout participait au bonheur des vacanciers à Champfromier : une nature accueillante, vivifiante, un hôtel de grand confort et la gare du tram venant de Bellegarde à moins de 100 mètres de l’hôtel. Et inutile de se préoccuper des bagages, le père (Victor) avait pensé à tout ; il avait fait construire spécialement une charrette pour transporter les bagages de ses pensionnaires sur ces cent petits mètres qui séparaient la gare du tram de l’hôtel ! Que demander de plus !

Enfin et ce n’était pas le moindre attrait de cet hôtel, la patronne savait y faire ! Les anciens du village rappellent avec un sourire, que Victor Ducret, lequel avait offert cet hôtel à sa fille, commençait même à se faire du souci... pour son propre hôtel, l'Hôtel Ducret tenu par Clorinthe, son épouse.

Pour le repas du dimanche, il y avait souvent une truite ; et on pouvait en déguster en semaine aussi, il suffisait de prendre le temps qu’un pêcheur en ramène une ! Au menu du déjeuner on servait fréquemment la spécialité locale, les quenelles de Nantua, et des légumes du jardin. En viande, on pouvait proposer un peu de tout, suivant l’urgence, un bifteck ou un rôti, ou encore une escalope de veau. Le soir, le potage aux légumes servi avec un petit morceau de viande, était dans les habitudes.

Avec tous ces vacanciers, les lessives étaient d’importance. La charrette aux bagages permettait aussi de transporter les draps jusqu’au lavoir du Pont d’Enfer et surtout de les ramener pour les étendre, alors qu'ils étaient considérablement alourdis par le poids de l’eau de lavage.

Marie Tournier, qui gérait le restaurant est décédée à 36 ans, en janvier 1938, de brûlures aux poumons, suite à un cancer du sein. Victor, son époux veuf, ira alors travailler à la scierie, tandis que Marie-Thérèse, l’aînée des filles, tient le café, officiellement au nom de son père. Dès lors les chambres ne seront plus officiellement occupées, si ce n'est … pour rendre service !

Victor Tournier décèdera en 1968. Le café, et dans une moindre mesure la restauration, sont alors repris par son fils André Tournier et son épouse (Aimée Famy). Mais André se noie, à la Namphée où il pêchait des truites pour le Vendredi-Saint de 1985. La maison sera vendue quelques années plus tard à un Grossiord de Lélex. Sans grand succès dans les affaires, le bâtiment est alors remis à nouveau en vente. Une communauté étrangère cherchait alors à effectuer des achats massifs dans les villages des environs (St-Germain de Joux, etc.), aussi ce sera la commune qui fera l’acquisition de cette bâtisse, et elle y placera divers organismes. Plusieurs salles sont alors mises à disposition pour les réunions de diverses associations (catéchisme du comité paroissial, amicale des Pompiers, Champfromier 2000, etc.) ou de particuliers (dentiste, kiné, architecte). Mais des contraintes de remises aux normes du bâtiment ont d'abord amené la municipalité à faire le choix de le libérer progressivement de toutes les salles occupées. Des locaux neufs furent aménagés ailleurs pour les pompiers, incluant le transfert des salles de réunion de l'amicale. Plusieurs associations furent transférées dans des locaux aménagés de la salle des fêtes (2008). La bibliothèque est déplacée dans des locaux communaux, près du centre commercial.

Que deviendra ce bâtiment ? Un projet de réaménagement de l'hôtel Tournier avec locaux pour jeunes en contrepartie d'une privatisation à l'étage n'a pas pu être concrétisé. La proximité très rapprochée de la route des Burgondes, avec un trottoir étroit, n'est pas en faveur du maintien de ce bâtiment, mais aucune décision n'est encore prise (M. de Souza, maire de Champfromier, le 7 novembre 2008).

 


Pignon de l'ancien hôtel Tournier, avec un étage de différence entre façade et partie arrière

 

Remerciements : Mme Hélène Chevron, fille de Victor Tournier. Crédit Photographique : Ghislain Lancel (La façade et ses enseignes, le pignon, 22/02/08)

Première publication, 2009. Dernière mise à jour de cette page, le 15 juillet 2016 .

 

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