Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
Le projet de voie du Tram commença bien avant son officialisation en "Chemin de fer d'utilité publique" par la loi du 27 avril 1906. Ainsi on relève dans la masse des archives, en date de Bellegarde, le 18 juin 1900, signé par Bergeron et fils, demandeurs en rétrocession, un plan de la "Traverse de Champfromier", à l'échelle 1/200e, pour la ligne de Bellegarde à Chézery
Ce plan accompagne un projet, qui ne sera pas retenu, de tracé de la Voie du Tram, sans construire de nouveau pont à Champfromier.
Rappelons que le nouveau pont sur la Volferine, construit non loin de l'ancien vrai Pont d'Enfer, sur le nouveau "Chemin de Grande Communication N° 14" (actuelle D14), avait été inauguré 33 années seulement auparavant, en 1867. Sur la plan ci-dessus, on voit donc un projet de tracé de Voie du Tram venant du bas par la Rue Neuve, qui est encore loin d'exister, passant approximativement dans la boulangerie actuelle (ou du moins son trottoir), finissant son virage en plein dans le pont routier sur la Volferine, puis se poursuivant vers Chézery...
Outre ce projet abandonné, ce plan est très intéressant pour observer les énormes modifications survenues en un siècle en ce lieu-dit. En bas à gauche, sont les maisons traditionnelles à coches protégeant du vent occupées par "Joseph et Joseph-Marie Coutier" (Joseph étant le maréchal du Pont d'Enfer signalé depuis le recensement de 1851). Ce sont approximativement les actuelles maisons Alcaraz et voisine. A sa gauche on remarque un petit carré dit "Four démoli Coutier". En face, de l'autre côté de la route, c'est la maison de "Grogogeat François" (approximativement à l'emplacement de la Poste actuelle). L'occupant, natif de Chézery, est un aubergiste recensé au Pont d'Enfer de 1866 à 1886 (et cafetier en 1861). A gauche était son jardin, débordant sur la nouvelle route mais dont le plan mentionne que ce ne sont plus que des "ruines".
Entre cette maison et la rivière, on ne relève qu'un chemin communal passant devant cette auberge, et un "terrain communal" terminé à droite par un "hangar Ducret-Bivet" (lire Ducret-Lizet). Il n'y a aucune mention de scierie (mais comme aux derniers temps elle se trouvait plus en amont, derrière le hangar). On sait que deux chefs de familles (Joux et Giet), étrangers à Champfromier, s'étaient installés comme scieurs au Pont d'enfer (travaillant peut-être dans ce hangar). On se rappelle aussi la colère des usiniers en 1894 lors de la prise d'eau au captage de la Trouillette pour alimenter les lavoirs municipaux, mais les deux usiniers marchands de bois, étaient de la rue de l'Eglise. On verra que ce projet de voie passant sur le pont routier sera remplacé par celui de la construction d'un pont spécifique au tram, à la demande des deux "scieries" de Champfromier.
A droite de la Volferine, on relève l'habitation de "Ducret-Livet François et Rolland (frères)". Cet endroit est de nos jours l'impressionnante ruine du moulin visible sous le pont dans le vertigineux lit de la Volferine. Roland est recensé meunier au Pont d'Enfer de 1872 à 1891. François semblait déjà mort en 1900... Rappelons que l'on dispose d'une vue stéréoscopique (datant de l'année 1895 environ) montrant très nettement ce vieux Pont d'Enfer, ainsi que le bâtiment à gauche et le moulin (avec toiture et fenêtre à rideau) à droite.
A droite est la maison de "Veuve Evrard et Coutier Philibert", avec un hangar à droite, caractéristique maison au toit à quatre pentes. A droite encore est la "Maison Nicollet", de nos jours prolongée vers Chézery. Remarquons que ce prolongement se trouve en partie à l'emplacement dit "Ancien chemin de Grande Communication N° 14". Cette ancienne route passait donc sur l'ancien pont d'Enfer (au centre de la scierie), puis derrière la maison Evrard au toit à 4 pentes qui était alors sa façade (portant d'ailleurs sur le linteau de porte d'entrée l'année de construction : 1799 PDC), pour ressortir et rejoindre l'actuelle route au niveau de la nouvelle maison Nicollet.
Outre l'agrandissement de cette maison Nicollet, les modifications ou constructions ont concerné les maisons Coutier et la Poste, et les constructions furent nombreuses. Citons en particulier la scierie Ducret arrivant jusqu'à la route et recouvrant en partie la Volferine. Mais le plus marquant est l'ouverture de la "Rue Neuve", avec à sa gauche le Poids Public et la boulangerie actuelle, et à sa droite le lavoir actuel (envisagé dès 1898 et achevé en 1905), et le restaurant Ducret. Bien entendu la Voie du Tram ne passa jamais Rue Neuve. Un pont spécifique fut construit. Sur ce plan ci-dessus, il serait en diagonale partant un peu à gauche du milieu du bas du plan pour arriver juste à droite de la petite maison Nicollet initiale.
On s'en doute, l'idée de faire tourner la voie du tram en plein milieu du pont routier, avec des rails en creux se trouvant en diagonale du passage des voitures, même si celles-ci étaient encore très peu nombreuses à cette époque, n'était pas le meilleur projet pour éviter d'éventuels accidents... Ce choix était seulement d'ordre financier. Mais quand on sait en plus que deux scieries se trouvaient déjà à proximité immédiate de ce pont et que des grumes l'encombreraient à longueur d'année, on comprend l'opposition à ce projet des dirigeants des scieries. Lors de l'enquête légale sur l'avant projet, s'étendant du 26 juillet au 26 août 1900, c'est sans surprise que la veille de la clôture du registre, comparait le sieur Ducret Joseph-Anthelme [5319 (marchand de bois, dit Joseph, ayant déménagé depuis quelques années de la rue de l'Eglise au Pont d'Enfer)], qui fait la déclaration suivante : "Le sieur Ducret Joseph-Anthelme estime qu'il serait préférable de construire au lieu-dit "Pont d'Enfer" un pont spécial pour le passage du chemin de fer d'intérêt local de Chézery à Bellegarde, plutôt que de le faire passer sur celui de la route N° 14, attendu que ce pont est à proximité de deux scieries et qu'il se trouvera souvent encombré par les voitures chargées de sapins ; de là, des accidents qui ne manqueraient pas de se produire" [Signé : Ducret].
Cette requête fut prise en considération. L'actuel Pont de Tram doit son existence à la présence des deux scieries en 1900.
Source : AD01_5S 551. Plan avec les nouvelles constructions : Ghislain Lancel.
Première publication le 31 décembre 2013. Dernière mise à jour de cette page, idem.