Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Pont de Gresin et de Lucey

 

Il ne fait pas de doute que les ponts sur le Rhône, en particulier ceux de la Manche Sarde après le Traité de Lyon en 1601, étaient surveillés par les savoyards, et justifiaient de corps de garde servant de logement, à proximité. Voici quelques informations inédites concernant ceux de Grésin en 1657, ceux de Grésin et de Lucey, en 1681. Ces dernier sont connus par un devis de reconstruction pour l'un et de réparation pour l'autre, avec un gouverneur qui n'oublie pas d'y adjoindre quelques aménagements sanitaires à sa propre maison, située dans les environs... Ce contrat est passé avec trois honnêtes hommes (charpentier et maçon), dont deux natifs de France, de Champfromier, mais habitant Ballon.

Piteuse garnison savoyarde au Pont de Grésin (1657)

Dans le cadre d'une information concernant l'intrusion des hommes de la troupe de Mercœur en l'abbaye de Chézery, le 14 mai 1657 à l'aube, une autre déposition donne quelques informations inédites concernant le Pont de Grésin. C'est celle d'un homme très brouillon dans ses propos, qui est le chef de la petite garnison surveillant le pont de Grésin sur le Rhône, côté Savoie. Après avoir signalé que quelques jours avant le 16 mai, une centaine de Suisses de Neufchatel bien armées sont passés par le pont de Gresin pour aller à Seyssel, mais qu'il n'a pu intervenir, n'ayant pas eu d'instruction préalable, "si peu de soldats, mal munitionnés et sans armes", l'ont croit comprendre de ses propos, qu'il y a 3 ou 4 jours, 200 hommes sont passés par Fort l'Ecluse pour aller loger à Châtillon, et qu'après leur passage à Chézery, où ils battirent l'hôtelier et firent boire son vin, ils sont repartis pour leur quartier à Châtillon, et ailleurs en France. Il semble conclure en exprimant que ses hommes sont au service de S.A.R. depuis 2 ou 3 ans, et en attente, pour le présent, d'être payés... [AD73, B0 7349].

Corps de garde des ponts de Gresin et de Lucey (1681)

Le 6 juin 1681, l’auditeur de la chambre des comptes de Savoie demande un prix-fait (devis) pour le logement des corps de garde qui sont au pont de Gresin et de Lussey (Lucey).

Les "prix-faiteurs" sont Claude [CI-8422 (?) du fichier des NMD de Champfromier] et Louys [8701 ?] Ducret, de la paroisse de Champfromier, "habitant présentement notre mandement de Ballon", et un troisième homme, de Ballon. On présume donc que ces dortoirs sommaires se trouvaient rive droite du Rhône, et sont ainsi sous les eaux depuis la mise en eau du barrage de Génissiat en 1948.

Ce devis, qui intègre aussi un travail à la maison du Gouverneur, n'est guère précis, sauf sur les chiffres. Il s'agit de reconstruire le logement du corps de garde du Pont de Grésin (celui où commençait le Chemin des Espagnols et où leurs soldats pourraient encore franchir le Rhône, en vertu du Traité de Lyon en 1601). Les seules précisions concernent la muraille (les murs) de 8 pieds de hauteur et la construction d'une cheminée. La seule surprise provient de la couverture qui ne sera plus en tuiles mais en tavaillons, toutefois non de sapin mais de chêne !

Le devis intègre de refaire la couverture du logement du Pont de Lussey [Lucey] où l'on remplace aussi les tuiles par des tavaillons. On comprend pourquoi. Le gouverneur, qui fut présent la vieille pour positionner le logement du Pont de Grésin et devra être prévenu lors des travaux, en profite pour faire "remanier" (remettre en état) le couvert de sa maison, avec les bonnes tuiles provenant des deux autres logements ! Il fait aussi aménager ses sanitaires : "feront dans ladite maison un canal pour la vidange des commodités, de la longueur de 5 toises (13,50 m)". Les bois nécessaires aux travaux seront pris dans la Forêt d’Arlod, appartenant à Son Altesse (de Savoie). Le devis total se monte à 550 florins, dont 9.000 et 5.000 tavaillons de chêne pour les logements de Grésin et de Lucey, à raison de 6 florins le millier, 9.000 clavins (bardeaux) pour 20 florins, 91 florins pour la maison du gouverneur, vu "la difficulté du (trans)port de la tuile" (depuis les deux autres logements), et finalement 206 florins de "main et façon".

 

Restent sans réponses, les questions que l'on pouvait se poser dès la départ : le logement du Pont de Grésin avait-il été détruit par fait militaire ou autre (incendie ) ? La maison du gouverneur se trouvait-elle à Grésin ? Et si oui, dans le village ?

 

Justificatif (Copie intégrale)

[ 3E 17057 (6 juin 1681)]. Prix fait par l’auditeur de la chambre des comptes de Savoie à Claude et Louis Ducret de Champfromier, pour le logement du corps de garde qui est au pont de Gresin.

[f° 1 de cet acte] "Le 6 juin 1681, se sont établis en personne le Seigneur Conseiller et Maître auditeur en la souveraine Chambre des Comptes de Savoye, noble Jacques Metral, lequel donne à tâche et prix fait à honnêtes Claude [8422 ?] et Louys [8701 ?] Ducret, de la paroisse de Champfromier, habitant présentement notre, le mandement de Ballon, et Amand Pert ibis (?) dudit Ballon, ici présents et acceptant […] ;

Premièrement, seront obligés, lesdits prix-facteurs de remuer le logement du Corps de garde qui est au Pont de Gresin, et icelui rebâtir au lieu et place que fut hier marqué et fri lonné par ledit Seigneur audiencier, en présence du Sr Gouverneur, lequel ils feront avertir lors qu’ils commenceront le travail, pour la solidité duquel ils feront une [f° 2] muraille du côté du couchant, de la hauteur d’environ 8 pieds sur terre, qui est la hauteur du bâtiment, sur laquelle muraille ils feront une cheminée qui aura 3 pieds de vide et un pied de largeur, et 3 pieds de hauteur sur le couvert, à …. du côté de la freste (?) ; et les 3 pieds de muraille tout autour, y compris la fondation d’un pied et demi d’épaisseur, pour, sur icelles poser les saules (sols, bases) des colonnes dudit bâtiment, pour la construction duquel ils fourniront tous les matériaux portés par la tâche ci-après écrite [renvoi : laquelle fait corps au présent contrat], et pour le prix y désigné ; le couvert duquel bâtiment sera fait de tavaillons bois de chêne, en pa villon à quatre pans, au rivillon duquel, savoir, de deux côtés ils donneront 3 pieds de sortie [Renvoi de bas de page : et attendu que les bois dudit bâtiment ne sont point joints, seront tenus iceux … et les joindre dument] ;

plus, seront obligés de refaire le couvert du logement du Pont de Lussey [Lucey], qui est à présent de tuiles, à deux pans ; aussi de tavaillons bois de chêne ;

plus, seront obligés de remanier toute la tuile du couvert du Sr Couverneur [Gouverneur], pour la perfection duquel ils se serviront [f° 3] des meilleures tuiles des couverts des susdits deux logements, et … le reste de ladite tuile sur le plancher de l’un d’iceux ;

Plus, feront dans ladite maison un canal pour la vidange des commodités, de la longueur de 5 toises, auquel ils donneront un pied et demi de vide, et lui donneront la pente nécessaire pour l’écoulement, toute laquelle longueur ils seront obligé de rendre faite et parfaite, dans 3 mois, pour le prix porté et convenu par la liste ci-après, à compte duquel leur sera payé par avance la somme de 300 florins, pour l’achat des matériaux ; et le surplus (de) la besogne étant faite et rendue à (la) ditte mai son, à la charge et réserve par eux faits qu’il leur sera permis de couper les bois nécessaires auxdits bâtiments en la Forêt d’Arlod, appartenant à S.A.  Royale, sans quoi ils n’auroient entrepris le présent prix-fait, le tout ainsi convenu et arrêté entre ledit Seigneur Audiancier et les susdits prix-facteurs […]

[f° 4] Fait et prononcé à Eloyse, en la maison du Sieur Jacques Mermed, officier audit P., présents à ce, le Dr Claude Desemond, C. Général de la gabelle de Savoye, et Claude Julliard de Fiollaz, paroisse dudit Eloyse, témoins requis, ledit Sr audiancier et le Sr Desemond, avec Louis Ducret ayant signé, et non les autres illettrés, enquis.

 

Dénombrement des matériaux nécessaires pour le travail ci-dessus spécifié :

Premièrement, pour environ 5 toises de muraille, à raison de 17 florins la toise, soit 85 florins ;

Plus, pour la cheminée, 17 florins ;

Pour les 4 pièces de chêne, pour les sols, 8 florins ;

Pour 9.000 tavaillons bois de chêne, à raison de 6 florins le millier, 54 florins ;

[f° 5] Plus, 5 douzaines de lattes, 10 florins ;

Pour 9.000 clavins, 20 florins ;

Plus, 6 chevrons, 6 florins ;

Pour 6 livres de crosses, 4 florins ;

Pour le couvert de la maison du Sr Gouverneur et le canal des commodités, attendu l’éloignement des pierres et la difficulté du port de la tuile, 13 ducatons valant de [chacun 7] florins, 91 (florins) ;

Plus, pour le couvert du logement du Corps de garde du Pont de Lussey, 5.000 tavaillons à raison de 6 florins comme dessus, 30 florins ;

Pour 5.000 clavins, 11 florins ;

Pour 4 douzaines de lattes, 8 florins ;

Et finalement, pour la main et façon de tous lesdits travailleurs, 206 florins ;

[f° 6] toutes lesquelles sommes jointes ensemble reviennent à celle de 550 florins, et sauf d’ajouter ou diminuer, suivant qu’il y aura plus ou moins de tavaillons, de lattes et de muraille que les quantités sus désignées, 550 florins.

[Signé : Metrals ; Desemont ; L ducrest ; Faure notaire]."

 

Source : AD01, 3E 17057 (6 juin 1681).

Publication inédite : Ghislain Lancel.

Première publication le 13 février 2018. Dernière mise à jour de cette page, idem.

 

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