Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

La Chaudanne

 

Chaudanne est aujourd’hui un endroit où la forêt a repris possession des lieux, rive droite de la Valserine, entre Chézery-Forens et le Pont du Dragon, au hameau de Monnetier, à Champfromier. Il n’y a pourtant pas si longtemps qu’une famille y vivait encore, et même qu’une gare de la voie du tram lui procurait un accès qui étonne de nos jours (mais c'était l'habitation de l'un de ses employés...) Un dramatique incendie, le 7 juin 1968 scella la fin de la présence en ce lieu (décès de Vincent Duraffourd, facteur, et de sa mère âgée de 91 ans, carbonisés).


La Chaudanne (celui des deux bâtiments non incendié) [Cliché G. Lancel (15/05/2012)]

L’histoire de la Chaudanne, ne nous est connue à travers les manuscrits anciens que depuis 1632 [Fonds Delaville, Mss 170]. A ce moment-là, Monnetier était un village à part entière, avec son administration propre (son syndic) et ses communaux (des parties communes aux habitants, essentiellement des bois et prés que la communauté des habitants gérait collectivement à leur profit). Monnetier était rattaché à la paroisse de Champfromier. En ces années-là, les finances ne vont pas fort, et le pire est à venir avec l’arrivée imminente de la guerre de Dix ans et l’incendie de 25 maisons de Monnetier dès la fin de l’année 1634.

Vente de la Chaudanne par les communiers de Monnetier en 1632

En ce 3 février 1632, les communiers de Monnetier ne peuvent plus honorer une dette envers leur seigneur, le prieur de Nantua, et comme cette dette est hypothéquée sur une parcelle qu’ils privilégient dans leurs communaux (au Grand Molliex), ils préfèrent vendre une autre de leurs parcelles, celle de la "Choudanne ". Apparemment l’ensemble des communaux de Monnetier était alors connu sous le vocable Chouffaix, Choussex (Choudanne et Chouffaix, probablement de même racine Chaud, caldus, endroit particulièrement ensoleillé), lesquels communaux s’étendaient de leur village à la Valserine, un très vaste domaine ! Les délimitations de la Chaudanne vont alors comme aujourd’hui du nant de Fossa situé au nord-est jusqu’à un rocher situé à l’opposé, et d’un replat à la Valserine, formant donc un carré grossier que l’on retrouve parfaitement sur les plans napoléoniens. Le prix de la vente est de 240 livres tournois. Les acquéreurs en sont les six frères Claude, Estiene, Roland, Jean, Petit-Claude [Claude 2] et Louys, enfants d’Estiene [très certainement Thieven (CI-9950), époux Mia Burdin], lui-même fils de feu Francoys "Goy-Ducrest ". Comme on le verra par la suite, ce sont des Ducret, l’additif Goy ne donnant qu’une précision de branche, peut-être du nom de la mère.

Un bail en 1666, avec 20 livres de fromages en plus !

En 1666, le 29 janvier, les frères Roland [9951] et Petit-Claude [8110] Ducrest, meuniers de Moulin-Dernier (qu’ils avaient acquis des Mermety en 1658), amodient les biens de la Chaudanne à Louys, fils de Philibert Moyne dit Bechat, du Champerroux, au Val de Cheyzery, pour 3 ans. Le bail de fermage ne concerne pas que "la maison, curtil, arbres, prez et terres, bois, arpages [alpages, dits ici montagnes] et champeages [terres labourables]", mais aussi 8 vaches et 12 chèvres, à rendre en bonne santé à la fin du bail, le tout moyennant 50 livres de fermage, sans compter 10 livres de beurre et 20 livres de fromage de la Chaudanne, et encore la moitié des pommes et des poires, le tout annuellement pour les bailleurs, et aussi retirer les pierres des champs (les rassembler en murgers), à la seule charge pour les propriétaires meuniers de ne pas prélever d’émine (mesure de capacité) quand les fermiers viendront y faire moudre leur blé : "ensemble huict vaches à laict bonnes et recevables en granges et de plus douzes chèvres à lait, lesquelles vaches et chèvres il rendra à la fin desditz trois ans en bon estat au dire de gens d’honneur pris de part et d’autre, et en cas de péril de l’une desdites vaches, la perte sera auxdit Ducrest, faisant apparoir le deffaut, et ce ont fait comme sus est dit, le présent bail sous la cence, ferme et admodiation pour un chacun an et une chacune prise de la somme de cinquante livres tournoitz, ensemble dix livres de beurre et vingt livres fromages, la moitié des pommes et poires croissant, aux arbres qui y sont plantez à présent avec promesses que lesditz Ducrest font audit Bechat ascensateur de ne luy prendre aucune émine quand il viendra moudre en leurs molins, et de plus ledit Moyne promet audit Ducrest de rendre leur maison, pré et terre en bon estat, mesme de les nettoyer de pierre, manger et faire manger les foingtz et pastures en provenans, et les mener en bon père de famille" [Mss 458].

Un bail en 1673, avec des tavaillons en plus !

En 1673, le 12 février, un acte enregistre une nouvelle amodiation, par Roland fils de feu Thieven [Etienne] Ducrest, cette fois à Humbert et Claude [8571], enfants de feu Nayme Tavernier de Monestier. Il est précisé qu’il s’agit d’une grange (et non plus d’une maison) avec ses prés, terres, arbres et champeage que ledit Roland Ducrest tient et possède "au lieu de Chouffex appellé En La Chaudannaz". Le bail est pour 6 ans. Le loyer passe à 60 livres, et toujours 10 livres de beurre (au poids de Nantua, chaque année en mai), mais il n’est plus pour ce bail question de fromages. Par contre s’y ajoute un cent d’enceniles (ancelles, tavaillons), à poser annuellement sur la grange. Les animaux ne sont plus que de deux vaches et de dix chèvres, estimées respectivement 40 livres et 27 livres, à restituer physiquement ou par leur valeur à la fin du bail. Les poires ne sont plus mentionnées. Les pommes ne concernent plus que deux seulement des pommiers mais pour la totalité de la récolte. L’exemption d’émine reste en vigueur. Enfin, à la fin du bail, les Tavernier rendront 3 mesures de froment et 3 de blandonnet (seigle, le tout pour réensemencer l’année suivante) [Mss 460].

Bail de 1705

Le 6 mai 1705, Jacques [413] fils de feu Roland Ducrest, de Monestier, amodie à honnête Humbert [10155 ?] Tavernier dudit lieu, demeurant aux Isles en Chaufey, une pièce de terre, prés, arbres, champs, champéages, bois, buissons et broussailles, avec une maison, dîmerie de Champfromier, appelée la Chadannà, que jouxte ses confins, pour 6 ans, 51 livres tournois, 10 livres de beurre, poids de Genève, un fromage de 9 livres, un cent d’ancelles sapin, et fera construire un four à cuire le pain, et ledit Ducrest payera la moitié des journées des maçons, et la couverture du four [3 E17071, f° 253v].

Autre bail, en 1712

En 1712, le 21 avril, plus aucun des six frères Ducret premiers acquéreurs en 1632 ne sont plus cités, c’est évident. La Chaudannaz, rière la dîmerie de Monnetier, est amodiée par Jacques Ducrest [413 (fils de Roland)], de Champfromier, à Joseph Ducrest, son neveu, aussi de Champfromier, pour 9 ans. Le bail concerne une pièce de pré, terres, bois, rochers, arpages et champages, avec une maison et un foyer [four], moyennant 51 livres tournoises (en baisse), un cent d’ancelles [tavaillons], 10 livres de beurre et 10 livres de fromage (le fromage revient). Cette fois l’ascenseur s’est réservé les fruits de quatre arbres, deux noyers et deux pommiers. Quatre mesures de froment et quatre mesures de seigle, mesures de Nantua, sont fournies au début du bail, à la charge de les rendre en fin du contrat. [Mss 462]. Jacques Ducret est bien connu, on dispose même de son testament. [Mss 468].

Une vente pour dettes annulée en 1720

En 1720, on aurait pu assister à un changement de propriétaire, au bénéfice de Joseph Delaville, bourgeois de Montanges (et c’est une chance car c’est la raison pour laquelle tous ces manuscrits nous sont maintenant connus), puisque le 26 octobre 1720 Joseph Ducret lui vend maison, grange et terres pour 1528 livres, visiblement par obligation, pour rembourser d’une part une obligation de 874 livres auprès du père de l’acheteur et 611 livres auprès du sieur Montanier de Seyssel, aussi créancier [Mss 372, 463 (Original présumé archivé chez le notaire, Prost)]. Mais une convention annule la vente le 20 novembre, la grange devenant hypothéquée au profit du sieur Delaville [Mss 373].

 

En 1727, on signale une grangère à la Chaudanne, et une poursuite des remboursements au sieur Montanier, avec le sieur Delaville en intermédiaire [Mss 466, 467]

Les Genolin-Pipaz deviennent propriétaires

Entre 1727 et 1729, la Chaudanne change réellement de main, vendue par Joseph Ducrest, meunier de Monnetier, à Félix Genolin [Genolin-Pipaz (9390)], de Monnetier, tout en restant hypothéquée par Joseph Delaville, héritier de Claude-François, pour une dette de 874 livres [Mss 470]. Cette dette fut ensuite transportée par convention (en 1731) à un sieur Honoré Fauvin [Mss 56-58]. En ce qui concerne la dette, elle sera finalement payée en 1733, après libelle contre François [752] et Antoine Ducrest [1022], frères, héritiers de Jacques [Mss 57].

De 1765 à 1861, familles Genolin, Seigne-Martin et Ducret

Si l’on manque d’informations sur les trente années qui suivent, heureusement une liasse d’actes notariés d’une collection privée a été consultée récemment et permet de reprendre le devenir de la Chaudanne après 1765. Jusqu’en 1861, la Chaudanne (ainsi que les Iles et le Soliet, dans une moindre mesure) passe donc aux familles Genolin-Pipaz, Seigne-Martin de Chézery, et enfin Ducret. On s’en doute, les ventes, emprunts, mariages et querelles sous-jacentes n’en sont pas exempts. Pour simplifier, disons que les actes commencent avec Félix Genolin-Pipaz [CI-9390] époux de Jeanne Ducret, dont une fille Françoise épouse Henri Seigne-Martin du Soliet, tandis que ses deux frères se partagent la Chaudanne (Joseph) et les Iles (François). Après mariage, les actes de ce qui concerne la Chaudanne pour cette famille repassent à Claude-Joseph Seigne-Martin puis à sa postérité, en particulier à Marie-Hélène Seigne-Martin [3512], épouse en premières noces de Henry Genolin et en secondes noces de Pierre-Joseph Ducret meunier, lui-même veuf, ce qui occasionne bien des complications entre tous les enfants des divers lits…, pour aboutir au dernier mentionné Jules-César Ducret [5592]. On sait que d’autres familles sont concernées par la Chaudanne, en tant que propriétaires partiels ou comme habitants-fermiers, mais les actes consultés n’en disent rien et laissent une assez grande partie indécise. On pourra donc consulter aussi avec profit la liste des occupants à travers les recensements à partir de 1841.

1883, vente (et revente) par licitation au préjudice des Grenard

L'édition du 25 février 1883 de L'Abeille, fait état de l'adjudication prévue à Nantua le samedi 17 mars 1883 de divers immeubles cpmposant le Domaine de la Chaudamne [sic] et de Sous les Iles (Etude de Me Michel, avoué à Nantua). Le préambule nous informe que les biens saisis le sont sur Cluade-Marie Grenard [natif de Forens], et Lucine Tournier son épouse. Ledit Grenard est propriétaire de la moitié du Domaine de Chaudanne (son frère Célestin semblant avoir toute l'autre moitié) depuis le partage reçu par Me Blanc (Chézery) le 26 août 1869, et le détail lui appartenant est "La partie nord, avec la maison dite à Bontemps, construite en pierre, couverte en tavaillons, avec hangar, située au domaine de la Chaudamne et au milieu du domaine, de la contenance d'environ 3 hectares, et composée de cuisine, cave, chambre à coucher, grenier au-dessus, écurie à côté ; ayant plusieurs entrées, dont les principales sont au midi et au levant, cadastrée C963 [la petite maison, au nord]. La part du domaine de Claude-Marie Grenard est confinée au levant par la rivière de la Valserine, au couchant par le lot ayant appartenu à son frère Célestin, séparé par 9 limites et les communaux de Champfromier, au midi et sous la maison, encore par le lot de Célestin, séparé par 3 limites, et ensuite par le chemin partant d'entre les maisons tendant à la route, et du nord par les frères Dujoux des Iles." La ligne de démarcation d'avec Célestin Grenard part au sud depuis le lieu appelé "Laut des Facines", à 50 mètres environ à l'ouest de la Valserine et va en ligne droite au nord" jusqu'à une murger sur la crête au-dessous des maisons", ligne où ont été plantées les 9 limites, et de-là, lieu qui est dit le "murger du Poirier-Doux", vers l'ouest jusqu'à une limite placée au bord du chemin devant la partie nord de la maison saisie, puis le long du chemin entre les deux maisons, qui rejoint la route [L'Abeille, 25 février 1883, p. 3]. L'ensemble avait été acquis par Camille-Achille Mermet, le poursuivant dudit Grenard, à la mise à prix de 1000 francs, mais M. Marcellin Musy de Nantua avait renchéri d'un sixième, d'où une nouvelle adjudication au nouveau prix de base de 1170 francs qui aurait lieu le 14 avril 1883... [L'Abeille, 1er avril 1883, p. 3].

 

Note : Comme partout en ce site, les CI mis entre crochets [...] se réfèrent au fichier des naissance de ce site. Les mentions Mss sont celles des manuscrits du fonds Delaville.

 

Publication : Ghislain Lancel. Remerciements : M. Jean-Luc Boucher (Fonds Delaville), Régine Vallet (Coll. privée).

Mise en forme en 2012. Première publication le 2 mai 2018. Dernière mise à jour de cette page, idem.

 

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