Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Le cheval autrefois...

 

Dans les années 1700, les chevaux étaient encore bien présents à Champfromier. Il s'agissait certainement de bêtes de trait, mais aussi d'élevage, rappelant les prestigieux étalons royaux mis en pension comme on l'avait vu en 1686. Les actes notariaux ne cessent de mentionner cavales et poulains : en 1722, Roland Genolin-Pochy, alité, malade, dicte son testament (mais il vivra encore bien longtemps...) et il fait aussi rédiger l'inventaire de ses biens. Venant tout de suite après la mention de ses cinq maisons à Evuaz et aux Sanges, significativement, on relève "deux mères cavalles, deux poulins, une poulaine de deux ans, 25 mères vaches, 10 veaux tant taureaux que génisses, 20 chèvres tant mères que chevreaux..." [3E13529].

Il semblerait que les réquisitions de chevaux par les armées, au moins à partir de la guerre de 1870, aient dissuadé les Champfromérands d'élever ces équidés, et qu'ils les remplacèrent presque exclusivement par des bœufs. En tous cas ces bovidés étaient omniprésents dans la mémoire orale des anciens, au siècle passé.

Cette antériorité à Champfromier des chevaux par rapport aux vaches, pourrait même remonter à avant la fin du XIIIe siècle, cette période charnière où les bovins remplacèrent les ovins (le chanvre ayant pris l'avantage sur la laine). Cette présomption repose sur le nom des étables qu'à Champfromier (mais aussi d'une manière générale dans tout le Pays jurassien) on nomme "écuries" ! En 1729, le notaire avait encore besoin d'expliquer l'usage et de préciser le nouveau mot : "écurie à vache soit bovaz" [3E17444, f° 338]. Si l'on a pris pour nom de logement des bovins une référence aux chevaux, c'est bien qu'ils étaient déjà présents au préalable.

Voici quelques documents, photographies et souvenirs en rapport avec Champfromier, où le cheval apparaîtra en divers domaines d'utilisation, militaire ou guerrier, royal en pension, agricole, monnaie d'échange, à la poste aux chevaux ou cheval de corbillard !

Foire de Chézery (1615)

C'est de la foire de Chézery que remonte la mention la plus ancienne d'achat d'un cheval. En l'occurrence, le 14 septembre 1615, Philibert, fils de feu Claude Ligon de Champfromier achète à l'abbé de Chézery une jument "à poil roge", pour la somme de 20 ducatons (Voir la foire de Chézery).

Capture de 4 chevaux du roi (1637)

On a peine à y croire, en 1637 une bande de quatorze hommes de Monnetier attaque des cavaliers de l'armée du roi à L'Auger (non loin des Avalanches, paroisse de Champfromier). Ils seront convaincus d'avoir "démonté quatre d’iceux et pris forcement (par la force) leurs gardes et chevaux", et devront payer de fortes amendes ! Voir les témoignages.

Déguillené d’à cheval (1639)

Le récit le plus ancien concernant un cheval à Champfromier est un épisode guerrier. Il relate un épisode tragique pour les Gris et le Brave Capitaine Brunet, "déguillené d'à cheval" (mis à terre) et mortellement blessé. Accessoirement il mentionne aussi quelques juments parmi les vaches.

Rappelons une fois de plus les faits, c'était courant novembre 1639. Une barricade est dressée au Petit-Pré (Combe d'Evuaz), selon l'idée que les Boucherans pourchasseraient les Gris ayant annoncé qu'ils partaient à la picorée en Semine (chez les Cuanais). Les gris ramassent "dans la Semine et les environs, une vingtaine de vaches et deux ou trois juments" et reviennent par le chemin d'Evuaz. Mais La Suche est prévenu et arrive aussitôt avec quelques partisans pour se poster avec des carabines à proximité de la barricade dans les sapins. Le capitaine Brunet arrive avec ses gris à la barricade. Les comtois tirent, blessent Brunet à la hanche et "le déguillèrent d'à cheval". Ses partisans abandonnent alors leurs bestiaux, se sauvent vers l'Auger tandis que les Boucherans reprennent leur butin et retourne à la Combe d'Evuaz. Les gris transportent leur capitaine Brunet à Montanges, chez son beau-père Mermety. Le capitaine meurt huit jours plus tard. [Auguste Guillermet, Une page d'Histoire locale, La terre de Nantua, p. 78-79].

Un étalon royal à Champfromier (1686)

Une série trop peu connue de manuscrits par villages, celle d'Eugène Dubois, léguée à la médiathèque Vaillant de Bourg en 1954, comporte une surprise pour Champfromier, celle de la présence d'un étalon royal broutant dans ses prairies en 1686, et celle d'un cheval de moindre qualité en 1699 :

"Haras : un étalon royal est placé à Champfromier par le sieur Jarcellat, seigneur d’Attignat [01340 Montrevel-en-Bresse], juge de la terre de Nantua (O'Brien). En 1694, ce haras était tenu par le sieur Monnet qui fit "approuver" un étalon cette année-là. Le précédent n’existait plus.

En 1699, M. Jarcellot [sic] y envoie un roussin acheté à Pontarlier, que lui a remis l’inspecteur des haras ". [Mss 590010 P82, cahier B, page 7]. Un roncin ou roussin était, au Moyen Âge et à la Renaissance, un cheval de travail de moindre valeur. Il était utilisé comme monture d'instruction et par les chevaliers les moins fortunés, qui n'avaient pas les moyens de s'offrir un destrier.

Monsieur Jarcellat n'est pas un inconnu à Champfromier. Dans les rôles de taille de cette même année 1686, cette famille est citée pour en être exemptée (et justement les étaloniers furent exemptés d’une partie des tailles, des corvées de routes et du logement des gens de guerre), les héritiers tenant deux granges connues pour se trouver à la Combe d'Evuaz : "Les hoirs de Mons. Lesleu Jarcellat, une grange de deux centz cinquante livres en rente" [ADA, C 664/2, dernière page du role de Champfromier de 1686].

La référence succincte "O'Brien" donnée par E. Dubois a été retrouvée : O'BRIEN (L.-E.-P.). Les Chevaux du département de l'Ain. Bourg-en- Bresse, 1886-1891. 3 volumes in-8° brochés. Sa lecture a révélé un aspect peu connu de l'Histoire de France, avec la tentative par Colbert de reconstituer un haras royal de qualité après les désastres guerriers du XVIsiècle. C'est dans ce contexte que Champfromier pu accueillir un étalon royal dans la Combe d'Evuaz... [Compléments sur l'étalon royal à Champfromier].

Jument et poulain saisis en 1696 et 1697

L'élevage d'au moins un étalon royal à Champfromier semble avoir eu deux conséquences, d'une part une surveillance et présence plus soutenue des gardes du Roi sur le terrain, et d'autre part la présence locale de juments et de poulains. Posséder une jument montrait sans doute un niveau de vie enviable, surtout si cet équidé s'ajoutait à quelques vaches (le terme d'écurie perdure d'ailleurs encore pour désigner une étable à vache...), mais il est plus probable que commerce des poulains, lucratif, en était la raison première. Par ailleurs tirer la charrue ou la herse se faisait alors avec des chevaux (et non des bœufs). En tous cas, vu cette valeur marchande, au moindre écart, le propriétaire se voyait confisqué sa jument ou son poulain par les gardes du roi... On en connait deux cas, en 1696 et 1697 [Lien à venir].

Départ pour les foins (1955)

Pour les Coutier de Monnetier, c'est le moment de faire les foins. Le cheval est attelé au char, sur lequel trois enfants ont pris place entre les ridelles. Ces longues échelles ne serviront en réalité qu'à contenir le foin bien centré dans le char. A l'avant, penchée en diagonale, une autre petite échelle, le "foretti" servira à maintenir serré le haut du chargement en passant un "séchon" (petit sapin desséché) sous un barreau.


De gauche à droite, Joseph COUTIER (debout sur le char), André COUTIER (assis, jambes ballantes), Françoise Coutier (accoudée sur le char). Roulant sa cigarette, René COUTIER, leur père. Tenant le cheval, André BRIGUET (fils de Jeanne COUTIER, sœur de René). A l’arrière-plan, la maison à Monnetier de Marie COUTIER (grand-mère des enfants). A droite la fromagerie de Monnetier.

Mousse, le cheval... du corbillard

Il fallait bien tirer le corbillard... C'était le travail de "Mousse, alors le seul mulet ou cheval de la commune. Il était logé à Monnetier-Crêt chez M. Berrod (actuelle maison Bergeron), et il y avait un anneau dans le mur à droite de la façade pour y attacher la bride de l'animal. Mousse n'est plus, l'anneau est par contre toujours présent.


Au dos de la photo, mention : Berrod Achille, père de Paul [devant sa maison, à Monnetier-Crêt],
et "Mousse", le mulet préposé au corbillard.

Et bien d'autres allusions aux chevaux...

La chapelle de Champfromier comporte une Fresque murale très ancienne, à l’intérieur, au-dessus de l’autel, côté nord, qui représente le martyre de saint Julien : "On y voit un chevalier agenouillé attendant le coup de grâce..." [Pré-Inventaire, p. 137]. En fait c'est la description d'un tableau [GL].

En 1443, la dîme (impôt du clergé) était due pour le croît (l'augmentation) des troupeaux, sauf pour les chevaux ! [Génolin, Champfromier, p. 32].

Un cheval est vendu pour 102 livres en 1698, par Henry Esvrard [8910] de Champfromier à honnête Pierre fils de feu Guillaume Lafontaine de Port [3E3891, f° 10 (18 février 1698)].

Etienne Genolin-Pochy [8773] achète à Plagne pour 105 livresune jument poil rouge âgée d’environ 9 ans, et au cas que la jument ne soit pas pleine, le prix en sera rabattu de 6 livres, en 1698 [3E3891, f° 117v (25 juillet 1698)].

Un poulain âgé de 2 ans, poil noir, ayant une petite marque au front est acheté 97 livres 10 sols par Estienne [10013] fils de feu Bernard Michy de Champfromier aux frères Maire de Giron en 1698 [3E3891, f° 48 (1er mai 1698)].

Dans les années 1710/1710, on relève assez souvent dans les actes notariés des mentions de chevaux, et plus particulièrement de cavales (juments), et non de bœufs, même dans des familles qui ne sont pas des grands propriétaires de la Combe d'Evuaz. Ainsi, en 1707, Claude Juilliant, laboureur originaire du village de Communal confesse avoir reçu la valeur de 96 livres en rémission d’une cavale, pour partie d'une dette de 400 livres [3E14280, f° 76 de 1707]. En 1710, Mia [CI-9689], fille de feu Estienne Turchet, veuve d’Estienne Tornier de Champfromier, préfère donner une terre au vendeur duquel elle a acquis sa cavale plutôt que de se séparer de son cheval. Sa valeur était de 14 écus à raison de 3 livres pièce, soit 42 livres... [3E14280, f° 40, du 20 juillet 1710].

En 1730, une jument de 2 ans est achetée aux frères Robin de Montanges par Roland Tournier de Champfromier, à crédit, au prix de 99 livres 8 sols [3 E17445a, f° 103]

En 1763, Jean-François Genolin-Pochy, notaire à Châtillon, gros propriétaire de domaines à la Combe d'Evuaz renouvelle le bail de ses domaines aux Humbert, Roland et Claude. En plus des 460 livres en argent à payer chaque année, du beurre, du fromage et autres frais en nature, s'y ajoute une clause bien particulière "couperont chaque année conjointement avec les autres grangers tous les bois de chauffage qui seront nécessaires aux héritiers de feu Jean-Rolland Genolin (son père, né à Aillon, Savoie), et donneront aussi chaque année 100 livres de foin pesant pour nourrir les chevaux qui feront la voiture desdits bois, le tout sans rétribution" [AD01, 3E14341, p. 790 v°].

M. Colliex, prêtre réfractaire de Champfromier durant la Révolution, essaie de se cacher dans un cave, derrière une cuve, mais il est découvert à Lancrans. Nous sommes le 16 février 1795. "Les gendarmes se saisissant de M. Colliex lui mirent des chaînes aux mains et au cou et, l'attachant ainsi à l'un de leurs chevaux, ils le conduisirent à Gex et l'écrouèrent dans la prison de la ville" [Genolin, Hist. de Champfromier, p.168].

Un Ducrest montreur de souris blanches parcourait le département avec une sorte de cage ou van tiré par un cheval, cage qui fut abandonnée dans un terrain vague de la rue Neuve, et dans laquelle jouèrent de nombreux enfants du village.

1889 (hiver) : L'épaisseur de la neige et la vigueur de la tempête provoquent de déplorables accidents : le cheval du boulanger de Champfromier est assommé par un paquet de neige glissant d'une toiture [La Combe d'Evuaz, p. 110].

 

En 1907, on comptait environ 14 chevaux et 1 mulet à Champfromier.

Petit garçon, je montais les vaches mises à la ferme de Raymond Pillard (peu après l'école Flamier à la Combe d'Evuaz), à pied depuis Monnetier, comme mon père. C'est ensuite sur le cheval, moi assis derrière mon père que l'on montait revoir les vaches.

"Le grand-père" était le seul à posséder un cheval à Monnetier, c’est lui qui aidait tout le monde. Il buvait un coup pour seule récompense !

Lors d'un hiver mémorable, pour déneiger la route entre Chézery et Champfromier vers "La Planche à Dujoux", il fallut six paires de bœufs et un cheval ! De tels attelages se voyaient aussi l’été pour tirer la lourde batteuse.

L'Hôtel Tournier (désaffecté, rue des Burgondes), au rachat vers 1933, comportait à l'extrémité droite en regardant sa façade une écurie (pour chevaux !) dont on dit que c'était une sorte de relai de poste aux chevaux. L'on sait aussi que l'actuel Hôtel de la Rivière (rue du Champ du Pont) fut l'Hôtel du Courrier tenus par Régis Favier, ainsi que l'atteste une carte postale (N° 181).

La mère de la Yette et sa sœur avaient chacune hérité d’une ferme au Collet. La Fromagerie était à la Mure (hameau de Giron) et ils s'y rendaient pour porter le lait avec le cheval, La Pouponne.

Avant la seconde Guerre mondiale, il n'y avait qu'un seul exploitant agricole de Champfromier n'ayant pas des bœufs rouges Auvergnats, c'était Louis Ducret-Gaucher de la Pinde à la Combe du Collet, et encore n'avait-il qu'un seul cheval [Fifi Ducret].

 

Remerciements à Françoise Coutier (photographie du char et noms, 1955), Michèle Camas-Vanel (photo de Mousse), et à de nombreux habitant(e)s de Champfromier et des environs ; Cédric Mottier (Détermination de l'ouvrage de O'Brien).

Première publication, le 27 juillet 2010. Dernière mise à jour de cette page, le 25 mars 2015.

 

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